Le
sang ne coule plus dans les culottes de Mélodie O. Le sang ne coule
plus, qui devrait couler depuis onze jours déjà.
Elle
avait pas d'inquiétude au début, c'est vrai ces choses-là arrivent
quand on arrête la pilule. La nature reprend ses droits sur le
corps, et la nature est pas si réglé. Elle compte pas les jours
elle. Mélodie compte maintenant.
Onze
jours et des nausées ça commence à faire beaucoup.
Elle
y pense presque tout le temps.
Elle
pense à comment elle se sent ronde et lisse et presque fragile.
Elle
pense à Joshua qui dort dans la pièce à côté.
Et
puis à nouveau elle peut pas s'en empêcher, elle retourne dans la
salle de bain, elle repousse la porte par habitude.
Elle
a besoin, peut-être, de dissimuler son geste.
Elle soulève légèrement sa robe, baisse sa culotte. Toujours pas de sang.
Elle soulève légèrement sa robe, baisse sa culotte. Toujours pas de sang.
Un
sourire étire ses lèvres, elle lance un regard à son reflet dans
le miroir. Son sourire s'étire encore.
On
se calme, elle se dit en remontant le long de ses cuisses la culotte
immaculée.
Quittant
la salle de bain, elle se glisse dans la chambre, jette un œil à la
masse dormeuse sous les couvertures.
Mars
est gris, elle se répète.
Onze
jours, elle se répète aussi.
En
silence elle enlève sa robe. Le tissu tombe sur le carrelage froid ;
elle soulève le drap.
Là,
sous les couvertures, la chaleur de Joshua. Les mains de Mélodie
cherchent les creux de son ventre, ça le fait geindre doucement.
« J'les
ai toujours pas, elle dit. »
Lui
il dit pas un mot de réponse, mais il se tourne vers elle, et dans
son demi-sommeil y sourit.
Plus
tard Mélodie est dans les toilettes – encore une fois.
Elle
guette sa culotte en silence. Elle compte les jours et les
demi-journées maintenant. Elle revient sautillante vers Joshua.
Le
fond bleu de sa culotte bleue lui met des soleils plein les mains.
Joshua,
il regarde Mélodie d'un pas en arrière, il la regarde avec ce
qu'elle a dedans.
Le
soir, il se colle contre son ventre. Il pose ses mains sur elle,
d'une manière spéciale pour toucher plus loin, plus profond sous la
peau.
Mélodie
se demande s'il fera ça tous ces mois, jusqu'à la fin. Ou si ça
lui passera.
Aussi,
il la pelotonne dans les coins. Il la pousse doucement sur les murs
de la maison, ça fait comme les châteaux-balloons quand on est
petit, on saute, ça rebondit, on tombe on se fait pas mal.
Joshua,
il a de la douceur plein le corps. Il lui dit, A l'intérieur les
atomes mettent toute leur énergie à se rencontrer.
Plus
tard elle sourit partout. Même ses genoux sourient, qui portent déjà
ça.
Est-ce
qu'on s'arrondit jusqu'aux os ?
Elle
lui parle déjà. Elle lui dit parfois des mots, sa main s'égare sur
son ventre, elle se surprend à faire ce geste, elle trouve ça
étonnant, l'instinct qui guide sa main jusqu'à son ventre, sans
qu'elle y pense, sans qu'elle le veuille vraiment, sa main qui
protège.
Elle
pense des choses comme Accroche-toi bien, en voiture, quand elle
court, n'importe où. Elle peut pas s'empêcher de penser ces
mots-là.
L'instinct
fait sourire et peur à fois. C'est une chose infime qui se développe
dedans, et dont on sent déjà qu'elle sera trop vaste pour qu'on la
contienne.
Elle
observe Joshua aussi. Elle pense à comment il sera transformé, à
la voix qu'il aura pour lui parler, aux jeux qu'ils inventeront.
Lui
il dit repose-toi, et va voir ton soigne-vagin.
Mélodie,
elle veut pas voir de médecin, ni pisser sur du carton.
Elle
veut que ça pousse dans la chambre noire de son ventre, sans
autre lumière que sa parole à elle – sur ce mystère.
Elle
se sent comme un poisson-lanterne nageant dans les abysses, et qui
porte sa lumière dans le rond de son ventre.