mercredi 3 avril 2013

Mélodie O. # 1




Le sang ne coule plus dans les culottes de Mélodie O. Le sang ne coule plus, qui devrait couler depuis onze jours déjà.
Elle avait pas d'inquiétude au début, c'est vrai ces choses-là arrivent quand on arrête la pilule. La nature reprend ses droits sur le corps, et la nature est pas si réglé. Elle compte pas les jours elle. Mélodie compte maintenant.

Onze jours et des nausées ça commence à faire beaucoup.
Elle y pense presque tout le temps.
Elle pense à comment elle se sent ronde et lisse et presque fragile.
Elle pense à Joshua qui dort dans la pièce à côté.
Et puis à nouveau elle peut pas s'en empêcher, elle retourne dans la salle de bain, elle repousse la porte par habitude.
Elle a besoin, peut-être, de dissimuler son geste.
Elle soulève légèrement sa robe, baisse sa culotte. Toujours pas de sang.
Un sourire étire ses lèvres, elle lance un regard à son reflet dans le miroir. Son sourire s'étire encore.

On se calme, elle se dit en remontant le long de ses cuisses la culotte immaculée.

Quittant la salle de bain, elle se glisse dans la chambre, jette un œil à la masse dormeuse sous les couvertures.
Mars est gris, elle se répète.
Onze jours, elle se répète aussi.
En silence elle enlève sa robe. Le tissu tombe sur le carrelage froid ; elle soulève le drap.
Là, sous les couvertures, la chaleur de Joshua. Les mains de Mélodie cherchent les creux de son ventre, ça le fait geindre doucement.
« J'les ai toujours pas, elle dit. »
Lui il dit pas un mot de réponse, mais il se tourne vers elle, et dans son demi-sommeil y sourit.

Plus tard Mélodie est dans les toilettes – encore une fois.
Elle guette sa culotte en silence. Elle compte les jours et les demi-journées maintenant. Elle revient sautillante vers Joshua.
Le fond bleu de sa culotte bleue lui met des soleils plein les mains.
Joshua, il regarde Mélodie d'un pas en arrière, il la regarde avec ce qu'elle a dedans.
Le soir, il se colle contre son ventre. Il pose ses mains sur elle, d'une manière spéciale pour toucher plus loin, plus profond sous la peau.
Mélodie se demande s'il fera ça tous ces mois, jusqu'à la fin. Ou si ça lui passera.

Aussi, il la pelotonne dans les coins. Il la pousse doucement sur les murs de la maison, ça fait comme les châteaux-balloons quand on est petit, on saute, ça rebondit, on tombe on se fait pas mal.

Joshua, il a de la douceur plein le corps. Il lui dit, A l'intérieur les atomes mettent toute leur énergie à se rencontrer.

Plus tard elle sourit partout. Même ses genoux sourient, qui portent déjà ça.
Est-ce qu'on s'arrondit jusqu'aux os ?
Elle lui parle déjà. Elle lui dit parfois des mots, sa main s'égare sur son ventre, elle se surprend à faire ce geste, elle trouve ça étonnant, l'instinct qui guide sa main jusqu'à son ventre, sans qu'elle y pense, sans qu'elle le veuille vraiment, sa main qui protège.

Elle pense des choses comme Accroche-toi bien, en voiture, quand elle court, n'importe où. Elle peut pas s'empêcher de penser ces mots-là.
L'instinct fait sourire et peur à fois. C'est une chose infime qui se développe dedans, et dont on sent déjà qu'elle sera trop vaste pour qu'on la contienne.

Elle observe Joshua aussi. Elle pense à comment il sera transformé, à la voix qu'il aura pour lui parler, aux jeux qu'ils inventeront.
Lui il dit repose-toi, et va voir ton soigne-vagin.
Mélodie, elle veut pas voir de médecin, ni pisser sur du carton.
Elle veut que ça pousse dans la chambre noire de son ventre, sans autre lumière que sa parole à elle – sur ce mystère.

Elle se sent comme un poisson-lanterne nageant dans les abysses, et qui porte sa lumière dans le rond de son ventre.