Sais-tu
ça qu'on joue à la pétanque la nuit dans le jardin y'a le
lampadaire municipale qui nous éclaire, il est minuit passé, on
mange des poissons-papillotes dans du papier d'argent cuit sur le
feu.
Sais-tu
ça qu'ya des amis qui viennent pour faire d'la salade et manger d'la
tarte à l'oignon-chèvre quand même glamour, on n'a pas peur de
s'embrasser après même si ça colle, on a le dedans de la bouche
qui sent la vie salée.
Sais-tu
ça que j'écris mes histoires sur un cageot d'raisin retourné, à
cheval sur le lit quand les amis sont partis, il est 01h44 du matin,
les cigales se sont tues.
Tu
sais p't-être pas non plus que j'écris des articles pour des
magazines, j'voudrais faire que ça dans la vie: tu fais-tu quoi ?,
j'écris des textes sur des textes que des gens écrivent, pis les
miens aussi, un peu.
Sais-tu
ça qu'j'aime l'été, les vêtements courts qui cachent pas la peau,
les bisous qui collent, les cigarettes sous les étoiles, la pétanque
et la guerre aux moustiques, les bières l'été dans l'jardin, les
tables en plastique blanc qui bougent, ça tangue quand on coupe le
pain pendant les dîners avec les amis, on s'arrime tous aux côtés,
les mains plaquées sur le blanc plastique, on tient bon, juste le
temps d'couper le bout de pain.
Sais-tu
le chant des grenouilles à cette même heure quand j'écris ?
A
cette heure-là l'été les gens dorment pas, les gens ont les yeux
éveillés, il est zéro heure passée du matin, ils parlent de
théâtre, de marionnettes pour les moins de 12 mois, ils parlent de
danse avec des chorégraphes qu'ont des noms pas prononçables, on
fait de la compèt de pâté lorrain, on mange d'la quiche avec des
beaux amis d'Nancy, on boit d'l'eau de vie qui rend heureux.
Ya
des bouteilles qui s'transmettent depuis plusieurs générations,
d'autres qui viennent d'ailleurs, de pays lointains, t'es obligé
d'avoir du vague dans les yeux quand tu les r'gardes, ya des plantes
mystérieuses dedans, on s'sert à boire dans des verres minuscules.
Nos amis qu'amènent ça, la bouteille, ils parlent vaguement des
gens qui leur ont donné, ils racontent des bribes d'histoires les
yeux plongés dans le passé, il est tard on voit pas s'ils sont
tristes ou heureux, on voit une forme de nostalgie sur l'ombre de
leur visage. C'est beau, c'est comme un fado, ça m'donne envie
d'chanter mais vu que j'chante très faux et qu'en plus j'ai la gorge
serrée d'émotion j'lève plutôt mon verre et j'le bascule
doucement.
L'autre
jour yavait trois bébis chez nous, trois p'tites sur un drap vert
posé par terre, une fausse pelouse, les bébés pouvaient bouger,
leurs parents avaient quand même peur d'évasion, ils doivent avoir
d'l'angoisse dans l'ventre constamment, les enfants ont peut-être
des ailes cachées sous les aisselles, ils prennent toutes les choses
à leur bouche, leur équilibre est incertain. Quand les parents ont
l'dos tourné il faut les surveiller, on se sent petit et minable
face à ces bouts d'existence boudinés qu'ont des yeux comme la
jungle, avec mille idées qui dansent dans la pupille, des yeux gris,
verts, des fois bleus, des couleurs pas définies qui oscillent dans
la lumière. Quand les parents sont aux toilettes on s'précipite, on
s'précipite avec not' propre maladresse pour que l'enfant tombe pas
en arrière, leur équilibre est pas sûr exactement comme la couleur
de leurs yeux, je pense que c'est pour ça qu'c'est fatigant les
bébés.
En
tout cas elles, elles faisaient les belles sur le drap vert avec
leurs yeux de jungle. Est-ce qu'elles sont déjà dans la compète?,
j'me demande; j'vois ça entre les filles, les femmes, elles se
jaugent du regard, elles sont rassurées de voir qu'elles sont pas
moins belles, qu'elles sont pas plus stupides, que leur copine aussi
elle a des grosses cuisses et qu'elle rit fort quand elle mange, que
des fois elle crache même des bouts sans faire gaffe: ça va on peut
accepter de pas être parfaite du coup, nous au moins on crache pas
des bouts quand on mange des burger aux poivrons.
Même
les vieilles dames s'font la concurrence, même les vieilles
surveillent la voisine pour savoir si elle vieillit mieux ou moins,
pour savoir si elle coupe encore son bois et ses rosiers, si elle
nettoie encore le dessus de ses placards debout sur la chaise, un
chiffon dans les mains, avec des soufflements crispés dans la gorge.
Les vieilles dames aussi surveillent si les voisines ont des hommes
qui viennent boire du vin rose sur la terrasse l'été il y a de
l'ombre on est bien, mais quand même à son âge on devrait pas
boire autant de vin disent les vieilles dames à propos de leurs
voisines, elles montent la garde.
Quand
j'vois tout ça, j'me dis qu'j'aime mieux les garçons et surtout
toi.
J'aime
mieux tes petits feux du soir quand tu brûles les cartons de bières
sous ma fnêtre, ça m'enfume et ça pue terriblement à 02h07, nos
amis sont partis, j'écris en tailleur sur le cageot retourné -sinon
l'ordi chauffe-, et j'aime ça quand tu dis qu'tu viens, tu fais
d'abord la vaisselle pis hop nos peaux sous les draps, la
moustiquaire fait la tente au-dessus de nos corps aimantés. J'aime
mieux les garçons dans l'absolu c'est sûr, et toi et ta façon
directe de régler les choses quand j'râle sur les filles. Tu
m'prends contre toi avec tes doigts, t'as les mains qui ruissèlent
sur la peau d'mes seins, ça frissonne le bout rosé qui pointe vers
toi, pis tes mains enserrent ma taille et mes hanches et mes fesses,
y'a tout qui frémit dans moi, j'oublie les filles qui font râler,
tu glisses entre mes jambes avec tes cheveux qu'ondulent et qui
balayent doucement mon ventre dans la nuit, il est 03h36, ya plus
rien d'autre qui bouge que nous.