lundi 26 août 2013

Treizième chronik





Sais-tu ça qu'on joue à la pétanque la nuit dans le jardin y'a le lampadaire municipale qui nous éclaire, il est minuit passé, on mange des poissons-papillotes dans du papier d'argent cuit sur le feu.
Sais-tu ça qu'ya des amis qui viennent pour faire d'la salade et manger d'la tarte à l'oignon-chèvre quand même glamour, on n'a pas peur de s'embrasser après même si ça colle, on a le dedans de la bouche qui sent la vie salée.
Sais-tu ça que j'écris mes histoires sur un cageot d'raisin retourné, à cheval sur le lit quand les amis sont partis, il est 01h44 du matin, les cigales se sont tues.
Tu sais p't-être pas non plus que j'écris des articles pour des magazines, j'voudrais faire que ça dans la vie: tu fais-tu quoi ?, j'écris des textes sur des textes que des gens écrivent, pis les miens aussi, un peu.
Sais-tu ça qu'j'aime l'été, les vêtements courts qui cachent pas la peau, les bisous qui collent, les cigarettes sous les étoiles, la pétanque et la guerre aux moustiques, les bières l'été dans l'jardin, les tables en plastique blanc qui bougent, ça tangue quand on coupe le pain pendant les dîners avec les amis, on s'arrime tous aux côtés, les mains plaquées sur le blanc plastique, on tient bon, juste le temps d'couper le bout de pain.
Sais-tu le chant des grenouilles à cette même heure quand j'écris ?

A cette heure-là l'été les gens dorment pas, les gens ont les yeux éveillés, il est zéro heure passée du matin, ils parlent de théâtre, de marionnettes pour les moins de 12 mois, ils parlent de danse avec des chorégraphes qu'ont des noms pas prononçables, on fait de la compèt de pâté lorrain, on mange d'la quiche avec des beaux amis d'Nancy, on boit d'l'eau de vie qui rend heureux.
Ya des bouteilles qui s'transmettent depuis plusieurs générations, d'autres qui viennent d'ailleurs, de pays lointains, t'es obligé d'avoir du vague dans les yeux quand tu les r'gardes, ya des plantes mystérieuses dedans, on s'sert à boire dans des verres minuscules. Nos amis qu'amènent ça, la bouteille, ils parlent vaguement des gens qui leur ont donné, ils racontent des bribes d'histoires les yeux plongés dans le passé, il est tard on voit pas s'ils sont tristes ou heureux, on voit une forme de nostalgie sur l'ombre de leur visage. C'est beau, c'est comme un fado, ça m'donne envie d'chanter mais vu que j'chante très faux et qu'en plus j'ai la gorge serrée d'émotion j'lève plutôt mon verre et j'le bascule doucement.

L'autre jour yavait trois bébis chez nous, trois p'tites sur un drap vert posé par terre, une fausse pelouse, les bébés pouvaient bouger, leurs parents avaient quand même peur d'évasion, ils doivent avoir d'l'angoisse dans l'ventre constamment, les enfants ont peut-être des ailes cachées sous les aisselles, ils prennent toutes les choses à leur bouche, leur équilibre est incertain. Quand les parents ont l'dos tourné il faut les surveiller, on se sent petit et minable face à ces bouts d'existence boudinés qu'ont des yeux comme la jungle, avec mille idées qui dansent dans la pupille, des yeux gris, verts, des fois bleus, des couleurs pas définies qui oscillent dans la lumière. Quand les parents sont aux toilettes on s'précipite, on s'précipite avec not' propre maladresse pour que l'enfant tombe pas en arrière, leur équilibre est pas sûr exactement comme la couleur de leurs yeux, je pense que c'est pour ça qu'c'est fatigant les bébés.

En tout cas elles, elles faisaient les belles sur le drap vert avec leurs yeux de jungle. Est-ce qu'elles sont déjà dans la compète?, j'me demande; j'vois ça entre les filles, les femmes, elles se jaugent du regard, elles sont rassurées de voir qu'elles sont pas moins belles, qu'elles sont pas plus stupides, que leur copine aussi elle a des grosses cuisses et qu'elle rit fort quand elle mange, que des fois elle crache même des bouts sans faire gaffe: ça va on peut accepter de pas être parfaite du coup, nous au moins on crache pas des bouts quand on mange des burger aux poivrons.
Même les vieilles dames s'font la concurrence, même les vieilles surveillent la voisine pour savoir si elle vieillit mieux ou moins, pour savoir si elle coupe encore son bois et ses rosiers, si elle nettoie encore le dessus de ses placards debout sur la chaise, un chiffon dans les mains, avec des soufflements crispés dans la gorge. Les vieilles dames aussi surveillent si les voisines ont des hommes qui viennent boire du vin rose sur la terrasse l'été il y a de l'ombre on est bien, mais quand même à son âge on devrait pas boire autant de vin disent les vieilles dames à propos de leurs voisines, elles montent la garde.

Quand j'vois tout ça, j'me dis qu'j'aime mieux les garçons et surtout toi.
J'aime mieux tes petits feux du soir quand tu brûles les cartons de bières sous ma fnêtre, ça m'enfume et ça pue terriblement à 02h07, nos amis sont partis, j'écris en tailleur sur le cageot retourné -sinon l'ordi chauffe-, et j'aime ça quand tu dis qu'tu viens, tu fais d'abord la vaisselle pis hop nos peaux sous les draps, la moustiquaire fait la tente au-dessus de nos corps aimantés. J'aime mieux les garçons dans l'absolu c'est sûr, et toi et ta façon directe de régler les choses quand j'râle sur les filles. Tu m'prends contre toi avec tes doigts, t'as les mains qui ruissèlent sur la peau d'mes seins, ça frissonne le bout rosé qui pointe vers toi, pis tes mains enserrent ma taille et mes hanches et mes fesses, y'a tout qui frémit dans moi, j'oublie les filles qui font râler, tu glisses entre mes jambes avec tes cheveux qu'ondulent et qui balayent doucement mon ventre dans la nuit, il est 03h36, ya plus rien d'autre qui bouge que nous.


 

dimanche 11 août 2013

Le grand froid II

Le grand froid I


A partir de là je t'attends
je te guette de près, de loin
je surveille tes mouvements
tes paroles, tes regards et tes gestes, j'attends le signe
de ton retour.
T'as l'air de quelqu'un qu'a pas besoin de m'avoir tout près
et ça charpie-syncope mon rythme cardiaque
j'ai, à la place, des pulsations sanguines, un grand silence, du vide
et je tourne et vire dans la maison
je vaisselle, je lessive, j'étandage, je livre mais
toujours je me rapproche
et je repars – la crainte de t'encercler
comme un insecte qu'on chasse de la main
à l'heure du déjeuner.
J'voudrais pourtant pas rater le moment où tes yeux
et peut-être même ton sourire
à nouveau vers moi -vont revenir.
Tu restes immobile, même quand tu bouges,
et je,
de près,
de loin,
- un ballet misérable autour de toi
avec pieds et mains et corps inquiets.

Je récapitule à voix basse des listes de choses que j'ai faites
qui pourraient t'avoir déplu
je ressasse des défauts que t'aurais pas vu depuis tout ce temps
qui d'un coup t'auraient sauté aux yeux
je trace dans ma tête les dernières minutes avant le grand froid, les dernières heures.
Je pense à toutes les choses dans moi qui pourraient te faire me désaimer.

Parce que tu me désaimes c'est sûr
et j'essaye de réparer ça
j'essaye en te faisant des prévenances
et mes prévenances t'énervent -je sais
ça nous égratigne tous les deux, mes efforts
tu repousses mes minuscules assauts
avec des mots simples pour tout le monde
peut-être tu diras plus jamais des mots à nous
peut-être maintenant c'est comme ça
froid, pierraille et plomb
et moi comment je fais pour enlacer une pierre géante glacée dans mes bras ?
Comment je fais pour te caresser avec ma peau, ma langue, mes jambes, mes mains
et te laisser glisser dans moi
toutes les nuits du monde à venir.

J'fais des gros efforts pour que personne voit - la peur
personne, les amis, les gens dans la rue, la dame de la supérette
je souris mollement
j'plaque mes lèvres l'une contre l'autre pour pas parler
j'pose mes yeux dans l'herbe pour pas r'garder la face des gens
on m'a souvent dit que je sais pas cacher les choses, que mes yeux parlent pour moi.
C'est pour ça que j'regarde l'herbe.
T'façons tout l'monde me dirait qu'c'est pas grave
que ça va passer
qu'on va se rabibocher les corps.
Mais personne sait comment t'es vivant dedans
et comment j'vois quand tu fais des faux
des faux rires, des faux baisers, des faux regards, des fausses paroles
comme si t'avais quelqu'un d'autre dans l'corps.
Les autres autour continuent la vie normale
ils savent pas qu'un drame en plomb éclot dans ma poitrine
une solitude me remplit quand c'est comme ça
elle a des mains aimantées pour moi
elle m’agrippe, elle me tient contre elle
et je marche à ses côtés
avec l'herbe que je regarde d'une façon inouïe ces jours-là.

T'as besoin des fois de te défaire de moi en silence
et je m'protège comme j'peux tu sais
on se construit des barrages pour que l'extérieur ne nous envahisse pas
pis des écluses pour contenir nos prop' émotions.
Seulement face à toi j'ai pas grand chose, j'ai presque zéro arme et pas d'armure.
J'invente des trucs,
je sens comme ça t'énerve de m'avoir près d'toi
mais j'veux pas rater le moment où tu vas revenir
et si tu pars
si tu pars pour de bon j'veux dire
je dois fixer dans mon esprit l'image de toi qui t'en va
j'aurai besoin de ça, cette image
si ça devait durer pour toujours - le grand froid.

En attendant j'm'invente des armes
j'pense très fort à des femmes puissantes
j'ai dans mon esprit Frida, la liberté
des femmes qu'ont été des artistes, des amoureuses, des mères, des sœurs
j'y pense pour me sentir forte comme elles.
J'pense à des filles d'aujourd'hui que je connais
qui se laisseraient pas abattre pour si peu
si elles étaient moi, si j'étais elles.
Je pense à ce que j'vais écrire de tout ça
comment ça va devenir quelque chose de pt-être bien, de pt-être positif
quelque chose sur quoi j'ai du pouvoir
dans la pénombre ventilée de la chambre
quand j'écris.
J'm'en vais dans les rues avec une amie aussi
on va voir des femmes fortes, Louise Bourgeois, Camille Claudel, Kiki Smith
on marche, on s'harasse de chaleur, on r'garde des films qui font pleurer
ça m'fait des bonnes raisons au moins, de laisser couler la peine.
Faut dire, ces jours-là j'peux pleurer pour rien
j'ai un vieux paquet de tristesse qui m'remonte de très loin
tout m'attriste et me touche
les corrida m'font pleurer, les enfants malades, l'aéronautique, les vieux qui meurent, les hérissons en bord de route, les arbres abattus et même les choses heureuses.
Les cadeaux, les remerciements, les gestes d'amitié.
Tu m'hypèresensiblises.

Et puis des fois pour m'endurcir j'commence à imaginer ma vie sans toi
Hè, qui vivra verra, j'me dis avec de l'ambition dans la voix.

J'ai quand même qu'une envie c'est de me coller contre toi
même pas pour baiser d'amour, non
juste pour être collés les deux, toi pis moi
vertical horizontal

reviens reviens reviens

Et pis ça vient lentement le moment où tes coins de lèvres se redressent
où tes yeux reprennent la direction de mon visage
ça revient, comme un cadeau après une longue maladie
comme un soleil foudroyant
les choses reprennent leur place
le monde reprend sa marche normale – et moi la seule je vois ça.
Il faut beaucoup de mots après ça
des explications mélangées de silence
on s'agrippe l'un à l'autre dans le noir de la chambre, il est tard
j'suis épuisée de larmes mais j'veux creuser dans toi pour savoir
j'veux trouver l'glaçon originel.
Il faut aussi des mains qui se posent apaisantes sur les peaux.
On s'dit que ça va, qu'on est encore là les deux -sur le pic glacé qui fond lentement.

Et j'ose encore pas te dire tout ce que je viens d'écrire,
comment c'est la terreur pour moi dans ces moments-là.







dimanche 4 août 2013

Le grand froid I





C'était dimanche avec la canicule
il faisait sombre et chaud dans la chambre
les moustiques de la nuit
plaqués comme des monstres sur la moustiquaire
guettaient notre réveil
le ronronron monotone du ventilateur dans le noir avant le jour
dimanche une nuit sans lune à l'horizon
on avait mal dormi toi et moi
au petit jour on ouvre les yeux
après avoir un peu, trop, beaucoup bu
quand on s'est retrouvé
tu étais tout froid - mais tellement
ça commence toujours comme ça
je me dis toujours des mots d'explication
que t'as juste chaud
que t'es juste fatigué
que t'as seulement pas envie -de nous, collés
et que dans une heure grand max
ça ira mieux
ça commence toujours comme ça, par des pensées
que j'essaye d'endiguer
mes craintes de grande nouille inquiète
dont je veux pas, je me dis
Arrête de t'inquiéter, y'a rien,
c'est juste pas le moment voilà.
Ça commence souvent par ton regard qui se tourne plus jamais vers moi
quand je remue
quand je murmure
que je soupire.
Y a des codes secrets entre les amoureux pour dire Regarde-moi
on bouge le drap d'une façon et on souffle
avec un air précis, sans le savoir
ça se fait machinalement, mais comme des machines amoureuses
c'est rare qu'on réagisse pas à ce genre de soupirs, ce genre de mouvement
quand on s'aime pour de bon.

Ce jour-là tu réagissais pas
et au début j'ai pas vu
on remarque pas tout de suite
quand ça dysfonctionne
quand la machine est rouillée.
Mais quand même, ton absence de regard
très vite m'a pesé sur le cœur,
comme un petit pois de plomb posé juste-là, on le sent, il appuie, on se dit
Ça va grossir ou pas, ça va devenir pire, ou fondre ?
Je crois que les amoureux font ça, qu'ils s'angoissent
pour des absences de regard.
Moi je fais ça.
Pour être sûre, je me rapproche de toi, avec mes bras de lion
j'ai de la lenteur dedans, je me penche sur ton corps-étang
pour assister au lever de soleil de tes yeux
pour voir ta main se déplacer lentement jusqu'à ma peau
et tes lèvres s'étirer comme tous les matins du monde
quand tu me sens près de toi.
Des bouts de lumière passent entre les volets
foisonnent sur ta peau -des images
ombres et dorées
j'en ai envie très fort, de ton regard sur moi
que tu m'enserres le corps ferme et doux dans le lit
au moins avec tes yeux, au moins
j'en ai presque besoin
pour fondre le goût du plomb dans ma gorge
et revenir à la canicule
juste normale
avec notre amour chaud
entre les cuisses et les oreillers.

Je m'suis rapprochée doucement
mais t'as eu zéro réaction
t'as pas dit pas un mot de réponse à mes signaux dans le noir
je sentais que ça se rétractait dans ton corps, même si tu bougeais pas
on sent ce genre de chose
quand toi aussi t'as du plomb dedans, de la pierre dedans, du vide dedans
t'as l'amour qui se recroqueville
et tu me barricades dehors
ça peut des fois durer une minute, c'est long déjà
une minute près d'un corps vide et froid
et solitaire
dans le giron d'la chambre -ronronron ventilo
c'est dur déjà
Mais allez quoi !, -je dis, je me secoue
je te connais
tu as des fois besoin de solitude aussi
tu as tes mystères et tes distances
et tes rêves secrets et je peux pas
me glisser partout dedans toi, comme une eau sinueuse
te prendre tout entier dans tes moindres recoins
je peux pas
tu as ta part lointaine
je dois m'y faire - au moins une minute, allez.

Ragaillardie
le petit pois pèse un peu moins sur moi.
Je m'éloigne de toi, quelques centimètres, c'est déjà beaucoup
je reprends ma place avec une petite distance,
j'm'occupe plus d'toi -je me dis, je te laisse à tes mystères
qui t'éloignent de moi -mais
reviens vite quand même
embrasser l'intérieur de ma peau
fourrer tes doigts dans mes cheveux
et puis poser ta tête sur mes côtes-prison-du-cœur
ouais,
reviens quand même vite
steuple.