On
s'croyait comme en vacances dans notre nouvelle maison qu'a les
portes qui claquent et les murs qui résonnent, qu'a des pins à
cigales dans le jardin, ça chante tout le jour mais y'a pas la mer,
y'a du lino au sol pis d'la peinture plutôt moche, crème jusqu'aux
plafonds. Y'a pas non plus l'eau chaude on prend des douches
tahitiennes dans le jardin ou des rustiques avec bouilloire ça gêne
pas il fait 41° degré sous les orages de fin d'aprèm, les
moustiques nous mangent les cuisses pas cachées dans les shorts trop
courts ou sous les robes d'été qui laissent la peau presque nue
partout.
Ca
te fait râler, ces habits d'été, quand des livreurs viennent,
quand des types sonnent à la porte pour mettre en route la chaudière
ou internet, on est les deux avec ta cousine en habits pas couverts
qui font des regards dans les yeux des types qui sonnent chez nous,
ils ont des airs de vouloir rester boire un café voire plus si ça
s'peut, ils vous regardent vous les hommes comme pour savoir qui fait
quoi avec qui dans cette maison, ils savent plus à qui s'adresser, à
toi, à ta cousine, à moi, à nos amis torses nus sur la terrasse,
ils savent plus, ils regardent en coin les bouteilles vides par
terre, ils ont pas le temps de les compter je pense, vu qu'y en a
plein, pis ils regardent encore les jambes de ta cousine ou les
miennes, ça, ça te fait râler c'est sûr.
Dans
la nouvelle maison y'a encore des cartons pis des sacs partout, on a
zéro rangement ou presque, y'a tout qui reste en tas ça s'empile et
ça devient chiant de chercher, on passe le temps en disant des T'as
pas vu le sel-geldouche-tabouret-caleçon-produitantimoustique etc.,
on a des nouveaux meubles presque tous les jours, comme à la
kermesse, on nous les donne, on sait pas toujours sur quoi on tombe
mais c'est bien.
Toi
tu voulais un canapé-bâteau-rose-géant quatre places hyper confort
qui coûtait moins-cher-gratuit mais vraiment ROSE, j'étais plutôt
d'accord, ça me rappelait la maison de Boris Vian que j'ai vue en
photo, je vais pas cracher sur ce parallèle.
Y'avait
plein de copains qui passaient nous voir, aussi des futures mères
avec des gros ventres, elles buvaient de la bière sans alcool, on
devenait fort pour goûter la différence, c'est quand même
vachement moins bon mais quoi, nos copines enceintes faisaient des
efforts alors on pouvait quand même trouver des mérites à la
buckler.
Un
après-midi on a pris la voiture pour aller à une fête, on a joué
à la pétanque, j'envoie toujours la première boule au top, j'sais
pas comment vu que j'suis incapable de le refaire après, y'a comme
un mystère avec ça, pourquoi la première boule va toujours se
tanker près du cochonnet je sais pas. Après ça les hommes
préparaient du mojito pis de la paella toute la nuit, moi j'étais
inquiète parce que tu buvais trop, du moins c'est ce qui me
semblait, je te trouvais des yeux torves et j'aimais pas ça, y'a des
fois où l'alcool fait peur pis des fois non, là j'avais
d'l'angoisse dans l'ventre à te regarder, au fond c'était pas si
grave, presque normal pour la st vincent mais j'tiens trop à toi
pour que tu t'consumes les yeux avec ça, de la boisson qui détruit
les cellules vivantes et précieuses de nos précieux corps.
Après
un temps l'inquiétude est partie, surtout parce qu'y a eu la
musique, on était que quatre à danser c'était pas grave, on
faisait comme s'yavait une foule et ça fonctionnait bien, et pis ya
eu ce gars, le genre de gars vrai-bon-danseur qui te fait tourner le
corps autour de lui avec des bras géants tentaculaires, il a d'la
pétillance dans le regard quand il attrape tes mains et qu'il te
serre, on a fait les fous longtemps, même deux sur la piste juste
lui et moi, après ça on soufflait ça ressemblait à la fin d'un
sprint ou bien comme après l'amour c'était un mélange des deux
mais en tout bien tout honneur, c'est juste un ami t'sais.
J'aime
ça les gars qui t'laissent essouflée quand la musique se tait, t'as
la chaleur au corps et juste envie de recommencer, tu sais plus
t'arrêter et ça crée des aimants entre gens qui s'aiment juste
bien à la base. Ca crée des regards brasiers mais juste une seconde
et demi, après on rigole en se tapant dans le dos et c'est beau.
De
retour à la maison, notre nouvelle maison d'vacances à vivre toutes
les saisons, on se colle les deux en cuillère -toimoi- sous la
moustiquaire qui fait une tente au-dessus du lit, on a la fenêtre
ouverte, les grillons chantent et les cigales caquettent, et toi d'un
coup t'as la vibrante dans l'corps, tu plaques ta main sur ma bouche
pour pas que je fasse un bruit pendant que tu caresses mes parties
secrètes, y'a nos peaux un peu collantes qui se disent bonjour et tu
mets sur moi ton poids d'homme et tes yeux qui disent des choses à
mon ventre, à mes seins d'été près du ventilateur, on a chaud, ta
main toujours contre ma bouche qui souffle parce que tu viens sur
moi, du bout des autres doigts t'écartes un peu ma cuisse. Faut pas
faire de bruit, y'a les copains tout près, derrière la porte, qui
font leur vie, et tu sais pas comment j'aime ça l'été quand la
maison est pleine d'amis et qu'on fait l'amour sans un mot.
Le
reste du temps on fait la cuisine, on achète tous les jours des
tomates grosses comme des cœurs, molles comme des cœurs, rouge-sang
comme des cœurs, elles fondent sous nos dents pointues, tu fais du
baba ghanoush tous les jours, on est fous avec ça, on le mange à la
petite cuillère dans le frigo, moi j'essaye les œufs pochés ça
marche pas, ça me fait semi-râler surtout quand tu dis que je fais
pas la vraie recette pis que t'as raison ça oui ça m'énerve encore
plus. Le blanc veut pas se coller au jaune malgré mes efforts de
tourbillon dans l'eau. Y paraît qu'une fois qu'on a compris l'truc
c'est facile mais en attendant j'les loupe tous et tout ce gâchis
d'oeufs me rend malade.
Et
puis il fait chaud. Les ventilateurs tournent en continu pour arroser
d'air nos peaux zébrées - bronzé-blanc-bronzé.
J'avais
les pieds nus dans le jardin, dans l'herbe rase et jaune qu'a l'air
bien pauvre, l'herbe brûlée sur la terre brûlée, j'fantasmais un
futur jardin vert vert vert, plantureux luxuriant.
Une
nuit on est allé toi et moi chercher les copines lituaniennes à
l'aerport, elles étaient folles elles disaient tout le temps
« Wahoooo » pis « Crazy amaaazing » nous on
était les deux normaux-calmes vu que c'était la vie normale pour
nous et qu'il était minuit et qu'on conduisait -toi surtout. On les
a emmené comme un paquet d'humains jusque chez notre ami qui devait
les loger pis qu'avait mis des bougies dehors sur la table et des
bouts de pastèques dans des p'tits bols bien classes, c'était la
nuit, on n'entendait plus les crapauds.
On
fumait des Craven A avec les étoiles, y'a qu'en ville ici, avec les
gens d'ici, qu'on fume les meilleures cigarettes du monde tu vois,
parce que c'est la marque qu'on aime pis surtout parce que c'est les
gens qu'on aime. On voyait de la beauté partout. Voilà.