dimanche 14 juillet 2013

On fumait des Craven A avec les étoiles







On s'croyait comme en vacances dans notre nouvelle maison qu'a les portes qui claquent et les murs qui résonnent, qu'a des pins à cigales dans le jardin, ça chante tout le jour mais y'a pas la mer, y'a du lino au sol pis d'la peinture plutôt moche, crème jusqu'aux plafonds. Y'a pas non plus l'eau chaude on prend des douches tahitiennes dans le jardin ou des rustiques avec bouilloire ça gêne pas il fait 41° degré sous les orages de fin d'aprèm, les moustiques nous mangent les cuisses pas cachées dans les shorts trop courts ou sous les robes d'été qui laissent la peau presque nue partout.
Ca te fait râler, ces habits d'été, quand des livreurs viennent, quand des types sonnent à la porte pour mettre en route la chaudière ou internet, on est les deux avec ta cousine en habits pas couverts qui font des regards dans les yeux des types qui sonnent chez nous, ils ont des airs de vouloir rester boire un café voire plus si ça s'peut, ils vous regardent vous les hommes comme pour savoir qui fait quoi avec qui dans cette maison, ils savent plus à qui s'adresser, à toi, à ta cousine, à moi, à nos amis torses nus sur la terrasse, ils savent plus, ils regardent en coin les bouteilles vides par terre, ils ont pas le temps de les compter je pense, vu qu'y en a plein, pis ils regardent encore les jambes de ta cousine ou les miennes, ça, ça te fait râler c'est sûr.

Dans la nouvelle maison y'a encore des cartons pis des sacs partout, on a zéro rangement ou presque, y'a tout qui reste en tas ça s'empile et ça devient chiant de chercher, on passe le temps en disant des T'as pas vu le sel-geldouche-tabouret-caleçon-produitantimoustique etc., on a des nouveaux meubles presque tous les jours, comme à la kermesse, on nous les donne, on sait pas toujours sur quoi on tombe mais c'est bien.
Toi tu voulais un canapé-bâteau-rose-géant quatre places hyper confort qui coûtait moins-cher-gratuit mais vraiment ROSE, j'étais plutôt d'accord, ça me rappelait la maison de Boris Vian que j'ai vue en photo, je vais pas cracher sur ce parallèle.

Y'avait plein de copains qui passaient nous voir, aussi des futures mères avec des gros ventres, elles buvaient de la bière sans alcool, on devenait fort pour goûter la différence, c'est quand même vachement moins bon mais quoi, nos copines enceintes faisaient des efforts alors on pouvait quand même trouver des mérites à la buckler.

Un après-midi on a pris la voiture pour aller à une fête, on a joué à la pétanque, j'envoie toujours la première boule au top, j'sais pas comment vu que j'suis incapable de le refaire après, y'a comme un mystère avec ça, pourquoi la première boule va toujours se tanker près du cochonnet je sais pas. Après ça les hommes préparaient du mojito pis de la paella toute la nuit, moi j'étais inquiète parce que tu buvais trop, du moins c'est ce qui me semblait, je te trouvais des yeux torves et j'aimais pas ça, y'a des fois où l'alcool fait peur pis des fois non, là j'avais d'l'angoisse dans l'ventre à te regarder, au fond c'était pas si grave, presque normal pour la st vincent mais j'tiens trop à toi pour que tu t'consumes les yeux avec ça, de la boisson qui détruit les cellules vivantes et précieuses de nos précieux corps.
Après un temps l'inquiétude est partie, surtout parce qu'y a eu la musique, on était que quatre à danser c'était pas grave, on faisait comme s'yavait une foule et ça fonctionnait bien, et pis ya eu ce gars, le genre de gars vrai-bon-danseur qui te fait tourner le corps autour de lui avec des bras géants tentaculaires, il a d'la pétillance dans le regard quand il attrape tes mains et qu'il te serre, on a fait les fous longtemps, même deux sur la piste juste lui et moi, après ça on soufflait ça ressemblait à la fin d'un sprint ou bien comme après l'amour c'était un mélange des deux mais en tout bien tout honneur, c'est juste un ami t'sais.
J'aime ça les gars qui t'laissent essouflée quand la musique se tait, t'as la chaleur au corps et juste envie de recommencer, tu sais plus t'arrêter et ça crée des aimants entre gens qui s'aiment juste bien à la base. Ca crée des regards brasiers mais juste une seconde et demi, après on rigole en se tapant dans le dos et c'est beau.

De retour à la maison, notre nouvelle maison d'vacances à vivre toutes les saisons, on se colle les deux en cuillère -toimoi- sous la moustiquaire qui fait une tente au-dessus du lit, on a la fenêtre ouverte, les grillons chantent et les cigales caquettent, et toi d'un coup t'as la vibrante dans l'corps, tu plaques ta main sur ma bouche pour pas que je fasse un bruit pendant que tu caresses mes parties secrètes, y'a nos peaux un peu collantes qui se disent bonjour et tu mets sur moi ton poids d'homme et tes yeux qui disent des choses à mon ventre, à mes seins d'été près du ventilateur, on a chaud, ta main toujours contre ma bouche qui souffle parce que tu viens sur moi, du bout des autres doigts t'écartes un peu ma cuisse. Faut pas faire de bruit, y'a les copains tout près, derrière la porte, qui font leur vie, et tu sais pas comment j'aime ça l'été quand la maison est pleine d'amis et qu'on fait l'amour sans un mot.

Le reste du temps on fait la cuisine, on achète tous les jours des tomates grosses comme des cœurs, molles comme des cœurs, rouge-sang comme des cœurs, elles fondent sous nos dents pointues, tu fais du baba ghanoush tous les jours, on est fous avec ça, on le mange à la petite cuillère dans le frigo, moi j'essaye les œufs pochés ça marche pas, ça me fait semi-râler surtout quand tu dis que je fais pas la vraie recette pis que t'as raison ça oui ça m'énerve encore plus. Le blanc veut pas se coller au jaune malgré mes efforts de tourbillon dans l'eau. Y paraît qu'une fois qu'on a compris l'truc c'est facile mais en attendant j'les loupe tous et tout ce gâchis d'oeufs me rend malade.

Et puis il fait chaud. Les ventilateurs tournent en continu pour arroser d'air nos peaux zébrées - bronzé-blanc-bronzé.
J'avais les pieds nus dans le jardin, dans l'herbe rase et jaune qu'a l'air bien pauvre, l'herbe brûlée sur la terre brûlée, j'fantasmais un futur jardin vert vert vert, plantureux luxuriant.

Une nuit on est allé toi et moi chercher les copines lituaniennes à l'aerport, elles étaient folles elles disaient tout le temps « Wahoooo » pis « Crazy amaaazing » nous on était les deux normaux-calmes vu que c'était la vie normale pour nous et qu'il était minuit et qu'on conduisait -toi surtout. On les a emmené comme un paquet d'humains jusque chez notre ami qui devait les loger pis qu'avait mis des bougies dehors sur la table et des bouts de pastèques dans des p'tits bols bien classes, c'était la nuit, on n'entendait plus les crapauds.
On fumait des Craven A avec les étoiles, y'a qu'en ville ici, avec les gens d'ici, qu'on fume les meilleures cigarettes du monde tu vois, parce que c'est la marque qu'on aime pis surtout parce que c'est les gens qu'on aime. On voyait de la beauté partout. Voilà.