mardi 22 janvier 2013

Cabanes



On avait parlé des cabanes après le repas. Tu mangeais de la crème choco avec ton doigt, ta cousine parlait des arbres hauts dans lesquels on fabriquerait des maisons pour habiter l'été. Ou même l'hiver. Y'aurait un feuillage vert et mordoré sur les plafonds, et des champignons tout en bas, une moquette faite en humus. Il faudrait monter à la cabane avec une corde, s'faire mal aux mains un peu, être athlétique. Ça m'plaisait ça, l'effort pour aller à la cabane. Ça devenait déjà une façon de dire, aller à la cabane, un but précis mais avec beaucoup d'autres choses derrière.
Après ta crème choco, avec ta cousine, on allait en voiture dans la campagne, là où seraient les cabanes. Y fallait marcher à la verticale presque, des cailloux roulaient sous nos pieds avec des morceaux de racines pour pas tomber. L'eau, autrefois, avait tracé des chemins sinueux, et maintenant les bêtes.
On montait toujours et les arbres étaient tellement hauts qu'on pouvait s'briser le cou en regardant leur bout vert. (Ils avaient des troncs très longs, lisses et bruns.) Ni vent, ni soleil, ciel gris et chants d'oiseaux. Des rochers plein de mousses. Notre chien bondissait à droite à gauche; sûrement des lièvres et des chevreuils ? On était les trois à regarder les trous, les traces, les crottes en prétendant savoir à qui elles appartenaient. Ça fait l'enfance de ces fois où on se prend pour des Sioux. On marchait en file indienne et tu tenais ma main dans mon dos en avançant, l'air de rien.
Je crois que dans nos têtes on rêvait chacun à sa cabane d'enfance avec tout ce qu'on aime dedans.
On aimait les trois la forêt et les feuilles qui meurent, et les bêtes qui se frottent sur les arbres et creusent la terre, on était les trois qui aiment voir le chien sauter, s'aplatir, fureter. Avec des airs experts on décidait qu'il y avait des truffes ici, une fortune.
Vu qu'au milieu du bois on tombait effectivement sur des chênes bien plantés en rang dociles, on a moins fait les fiers. On s'est raconté les histoires de coup de fusil, on devinait entre les branchages une caravane dans laquelle nous observait forcément l'gardien. On est passé sur le bord un peu en pointe de pieds, avec le souffle rentré dedans. J'ai pensé à la cape d'invisibilité, quand même bien pratique. Harry P., t'es où ? Viens steuple.


Dans la voiture au retour le chien sentait le chien et nous, on sentait la cabane. On sentait l'enfance aux racines bien profondes, bien sombres, bien charnues. On sentait la rêverie quoi.
Dans la maison ça continuait avec des clémentines de Noël tardives. (Toutes les clémentines sont de Noël, à cause de l'odeur.)
On les épluchait en petits quartiers qu'on avalait vite en parlant cabane. Tout devenait plutôt possible. On balayait les obstacles avec les peaux oranges, hop dans la poubelle, on en épluchait une autre et ainsi de suite on a fait tout le projet.
Et puis on a fini par aller se coucher. On était les deux seuls dans la chambre. On s'est regardé dans les coins des yeux, on pensait plus aux cabanes on pensait à nos fesses et nos ventres bien doux, bien chaleur, qu'on avait envie de caresser. J'ai ouvert ta chemise. Le lit s'est glissé sous nous, il nous a eu avec un croc-en-jambe de pro. Bien obligés de succomber tu vois.
On succombait.
A ce moment précis tes dents sentaient la fleur d'orange sauvage. Il fallait pas faire de bruit, pour pas gêner ta cousine -quand même.




samedi 19 janvier 2013

Ce qu'il faut taire

Pars pas longtemps. 
Il faudrait pas que je sois trop seule tu vois.
Il faudrait pas que je me dise tiens en fait je suis plutôt seule. C'est risqué tout ça.
Ce serait une solitude comme une part de pizza toute seule à la boulange, elle attend que tu la prennes en fin de soirée. Et t'as super faim. Et t'as pile les sous. Et tu devines déjà le goût qu'elle aura à cause du fromage figé sur le dessus.
C'est que lui il est pas figé-figé tu vois.
Y m'fait des sourires en biais d'air de pas y toucher, il m'envoie quand même un texto.
Y faudrait pas qu'on soit seuls lui et moi dans une grange ou à un concert, à la limite une expo ça irait il y aurait du monde partout.
Ses yeux font des regards quand on se demande si y a quelque chose, et depuis certains jours je crois qu'y a quelque chose. Il faudrait vraiment pas qu'on soit seuls ce serait de la bêtise de se plaquer contre un mur avec ses cheveux dans mes doigts et le mur dur dans le dos.
Ça serait vraiment risqué son sourire, ça finirait que nos bouches ouvertes l'une sur l'autre et les yeux fermés on s'enroule. J'aimerai bien ça sûrement mais j'aime pas parce que c'est que sexu, c'est qu'une histoire de vibrante et pis son regard de chat, bon.
C'est un peu à cause des herbes brûlées quand on s'est rencontré, l'été. Ça donne toujours des idées et maintenant il fait vraiment froid mais je le vois toujours avec le soleil et les herbes qui balancent leurs têtes trop lourdes dans un air trop chaud.
Et puis j'aime ça ses pulls en laine et ses fûtes de v'lours et ses poignets tout fins, ça fait sensible même s'il  trompe sa copine juste avec les yeux. Ça comptes-tu ?

La plupart du temps on s'parle pas, juste on imagine des choses torrides, assis côte à côte et très calmes sans s'regarder, sans même avoir l'air d'être ensemble. Y a tous les autres autour, on s'parle pas, on agite nos corps dans d'autres histoires mais nos cervelles inventent des trucs. La mienne oui en tout cas.
Ça serait le dernier jour où on se voit, parce qu'après il part. On aurait rien dit comme d'habitude mais on aurait laissé les autres quitter le monde sans les retenir et sans partir nous. Juste comme si c'était pas tout à fait l'heure de s'séparer, on attendrait un peu en causant de choses anodines dont on s'rappelle jamais après. Et puis il aurait fait le coup du chat avec ses yeux, et moi je lui aurais fait le coup du mur et on s'rait empoignés plutôt sauvage parce que ça fait des mois qu'on l'attend. Y aurait eu des brindilles partout qui nous auraient piqué les cuisses mais on les aurait pas senti tant que ça, vu que sinon faudrait s'arrêter.

D'ailleurs faudrait s'arrêter parce que mélanger les salives passe encore mais le reste. Se frotter l'un contre l'autre dans les herbes sèches, hmm.
On sort de là comme après la cuite, sauf que ça braise encore entre mes jambes, pour lui j'sais pas.
Ensuite il faudrait partir vite avant de se dire des mots gênants d'amitié. On n'a jamais été amis, on peut pas à cause de ces trucs là qu'on imagine, qu'y s'passent pas, sauf dans nos têtes et c'est d'jà beaucoup.

Il m'intéresse pas t'sais, il me plaît c'est tout, et c'est pas pareil, quoiqu't'en dises mais c'est toi qu'es pas là et puis quoi c'est la vie on va pas s'cacher les flammes qu'on a dans les yeux.
Lui, y doit m'trouver niaiseuse. Parce que quand il parle je regarde sa bouche pour pas voir son corps, sinon j'entends rien. Pis ses yeux c'est pire.
C'est pour ça qu'il faudrait pas trop qu'on s'parle seul à seul, sinon j'ai zéro concentration ou bien alors faut qu'y bouge les mains vu qu'en fait, c'est risqué aussi la bouche.

En fait j'voudrais vraiment pas qu'tu partes trop longtemps.


( garder la distance )


dimanche 6 janvier 2013

Ta chapka

J'avais les pétoches de rouler la nuit mais on avait dit qu'on se retrouvait avant la fête alors j'avais pris la voiture jusqu'à chez ta mère et mes phares n'éclairaient pas assez. Je devais deviner si la route tournait ou si elle restait droite et le plus souvent, elle tournait.
Je suivais les courbes en restant le plus concentrée possible, et je voyais les boules de lumières rouges et vertes des feux dans le coin de mon oeil. J'en passe un pis deux, toujours vert, sauf que c'était, en fait, le vert des piétons et j'étais pas un piéton là. La voiture qu'arrivait en perpendiculaire a freiné mollement en ouvrant des yeux vraiment ronds, incrédule.
Après ça j'avais le coeur qui battait trop fort et j'ai raté la route à gauche parce que les phares éclairaient vraiment que dalle et que mon coeur mon remontait dans la bouche.

Quand on s'est retrouvé c'est toi qui as conduit et évidemment c'était pas plus mal.
J'aimais ça, ta chapka juchée insolente et exotique sur tes cheveux poivre et sel.
J'aimais ça ta voiture qui couinais joyeusement dans le froid Décembre
et ta main sur moi quand tu conduisais.

*

Tout le week-end on a fait l'amour, on s'est mangé le ventre et les cuisses avec des bouches de géants pleines de langues enroulées après on mangeait de la salade aux noix avec ta mère et dehors il faisait -3°.
Ensuite c'était lundi.
Ça donne pas envie le lundi, j'aimerais mieux ton corps chaud et du café , peut-être tout le monde, mes collègues, ils voudraient ton corps chaud et du café, les autistes viendraient aussi, ça pourrait être gai. Au lieu de ça on taille la vigne eux et nous, les branches tombent par terre emmêlées, on taille avec des gros sécateurs ça fait peur aux doigts rangés dans les gants, on se méfie de ceux qui piquent des colères, parce que ça coupe quand même beaucoup un sécateur.

Le soir tu m'enveloppais comme une momie chaude et c'était bon. Le matin mon chien me faisait des yeux de biche pour que je reste écrire et boire du café au chaud plutôt que d'aller empiler des olives dans des boîtes plastiques.
Mais quoi c'est lundi !
Finalement les olives me plaisaient et les boîtes plastiques étaient belles avec leurs vives et tranchées et mes collègues me clignaient de l'oeil avec un sourire en coin. Le soleil chauffait la croûte de la terre et moi dessus et pendant ce temps tout faisait racine: les lettres envoyées, les lentilles qui germent, tes doigts dans mes creux (aine et clavicule et tout ce qui reste), les sourires des nouvelles
rencontres.

*

Après un jour ou deux tu repartais et comme t'étais pas là pour me chauffer je gardais mon bonnet pour manger la soupe. C'est long sans toi le lit vide d'histoires et de culottes qui s'envolent. Les plantes que tu détestes se lamentaient quand même sur ton départ. Fallait remplir la maison avec des chansons, le volume à fond et allumer le four et allumer l'ordi et allumer la radio et allumer la bouilloire ça f'sait moins seule tout c'bazar lumineux.
Comme t'étais pas là j'écrivais beaucoup aussi. La vaisselle s'entassait dans l'évier, le frigo se vidait lentement, la poussière s'accumulait dans les coins, le linge se salissait peu à peu. J'voyais rien d'tout ça, d'une t'es pas là, et de deux j'écris.



 ( photo d'ici )