lundi 25 février 2013

Fin d'hiver




L'arrivée du printemps me demandait beaucoup de soins.
C'était le re-début de la vie. C'est le moment où il faut aider la terre à craquer et à reformer ses couches, où il faut aider les graines à pousser, où il faut aider les cabris à naître.
Il faut préparer l'à venir.
Il faut observer longtemps la neige et la glace se fondre en eaux et le vert de l'herbe se révéler soudain sous le givre. Il faut guetter le rallongis des jours et les nouveautés des bestioles, celles qui chantent et celles qui empruntent des chemins inhabituels parce que tout se réveille.
C'est long et lent et soudain les tiges vertes poussent la terre, l'écartèleent lentement, une fissure dans le brun opaque.

Le semis d'abord.
Faut préparer la terre pour qu'elle soit belle comme de la semoule brune. Ça donne envie de mettre les mains dedans, de la moudre entre les doigts. Après faut encore faire une raie bien droite, comme une p'tite tranchée dans laquelle on va cacher les graines rondes, des billes de p'tits pois. On arrose la raie avant de mettre les graines dedans. Et on rebouche. On remet tout comme si jamais personne était passé, sauf que dedans les graines s'réveillent en secret. Et lentement elles vont pointer, vertes, vers le ciel.
J'trouvais ça beau le secret des graines, j'voulais montrer ça seconde par seconde à quelqu'un, les efforts des jardiniers au printemps et la graine qui pousse et fait craquer la terre pour pointer sa tige fragile.
Je voulais aussi secrètement rouler quelqu'un dans cette terre, mettre mes mains brunes et granuleuses sur ses yeux et tracer ses lèvres avec les doigts terreux. Mélanger ses cheveux aux racines naissantes et coller son ventre contre le mien. Coller nos langues aussi.

Pendant ce temps, soudainement, les animaux naissaient.
Les cabris sortaient tout mouillés du ventre de leur mère avec le sang et tout.
Quand ils naissent, ils ont les oreilles et les yeux collés, ils gluent entre nos mains, leurs petits sabots se tendent dans les quatre sens, ils tombent étourdis dans la paille et leurs mères bêlent et les reniflent et les lèchent pensivement.
Certaines ont des cabris morts dans le ventre et il faut les leur sortir des entrailles avec des gants qui remontent jusqu'aux épaules -moi j'le fais pas.
Les vivants gambadent dans la nursery, les mères les suivent en bêlant.
On est inquiet pour tout ce monde. On veut que les petits s'mettent debout, qu'ils tètent, qu'ils aient chaud.
C'est drôle et effrayant à voir comme ils se jettent sur les mamelles de leurs mères. Leurs nez tapent le ventre et cherchent le lait furieusement. Quand ils trouvent, leurs petites bouches édentées aspirent le liquide poisseux blanc, puis ils s'écroulent sous leurs mères, fatigués, ivres de lait.
Au début ils ne trouvent pas d'eux-mêmes. Il faut les guider et ils tètent nos doigts, ils tètent tout c'qui passe.
On regardait ça avec des yeux attendris. Ça faisait quelque chose de le partager avec quelqu'un, de se poser les questions est-ce qu'il va bien le petit dernier ?, et l'autre répond oui, ça va, il commence à marcher, comme une chose lente et pleine d'effort qu'on suit de près.
Il fallait leur donner des biberons aussi, soutenir leurs petites têtes effarées par la tétine, les prendre dans le chaud de nos bras pour qu'ils se sentent vraiment bien tu vois.
J'avais aussi envie de ce chaud-là.
Des enfants venaient voir les bébés, ils les caressaient fort j'avais peur pour leurs cous de nouveaux nés mais tout s'passait bien.
On s'parlait doucement de ces choses vraiment graves, les naissances et les graines qui poussent la terre, la musique du fond des âges.

Et j'avais encore envie de plaquer quelqu'un dans la paille. Peut-être il y aurait de la surprise dans ses regards et mes mains qui remontent sous sa chemise ça serait doux et piquant à cause de la nouveauté. Peut-être son cou à lui serait pas si fragile pour y appuyer les dents et mordre un peu. Peut-être c'est lui qui voudrait m'entreprendre et il attendrait même pas la paille, là contre la barrière de bois il voudrait qu'on se colle fermement et ses mains sur mes collants remonterait le long. Et c'est lui qui mordrait mon cou.
Tu vois, je me disais on est coincé entre l'hiver et le printemps. Entre l'ancien et le nouveau.
Et je savais pas trop ce qui allait naître et ce qui allait mourir.

J'me posais ce genre de questions ce matin, toi tu t'étais endormi à côté. Et puis t'es revenu dans le lit, le soleil passait dans la chambre, ça faisait fermer les yeux éblouis. Les rayons avaient l'air de se promener lentement sur toi. Sur tes cuisses serrées autour de ma jambe. On plissait les yeux avec des sourires béats.
Après ça je sais plus, nos langues collées qui s'enroulent c'était comme se tourner autour sauf qu'on restait immobile, juste nos bras et nos jambes bougeaient en forme de caresses.
Je pouvais pas m'empêcher de mettre mes doigts dans ta barbe qui était toujours douce.
Je pouvais pas m'empêcher de coller mon ventre contre le tien et de respirer dans ton oreille. J'avais la vibrante en dedans et l'envie de te contagier avec l'humide de mon corps, avec le battement que j'avais dans le ventre et les cuisses et le thorax. Tout ça faisait mouvant entre nous, et t'étais finalement bien contagié vu tes regards. Tu m'as soulevée jusqu'à toi.

Tout fondait dehors et dedans. 



dimanche 3 février 2013

Et le vent s'était levé



(suite de ce texte

Les jours s'allongeaient comme des truites au soleil, humides, et le vent s'était levé: il bousculait les tables des terrasses et les réverbères jusqu'à en faire tomber certains. Mon amoureux n'était pas là.
Les journées se mélangeaient avec les p'tits tracas quotidiens, le militantisme au travail, les hyper syndicalisés qui parlaient lutte et combat genre gladiateurs, et ceux qui se tâtaient les coins du ventre pour savoir ce qu'ils avaient dedans.
Nous au milieu on regardait avec des yeux ébaubis et on s'coinçait entre les portes pour discuter de comment calmer l'jeu.
J'avoue qu'j'aimais bien ça, qu'il me coince entre les portes. On s'retrouvait sur le parking pis y a eu ce jour où on est resté tard. Je suis monté dans ma voiture, y f'sait nuit, il a tapé à la vitre entre-ouverte, j'ai ouvert la porte, éteins la musique.
J'suis sortie.
Il s'appuyait contre un arbre très fin et la nuit tout autour de nous c'était beau. J'voyais sa silhouette découpée dans l'noir se balancer entre l'arbre et moi.
Moi je m'accrochais à la voiture, on parlait de nos vies au milieu d'histoires d'boulot, ça faisait du bien pis sa voix était encore plus douce. J'avais peur à force d'onduler qu'il tombe lentement contre moi, mais non.
Et pis on a dit, pour finir, à demain, on est maladroit et c'était sûrement mieux comme ça. J'sais pas.
J'ai encore peur qu'il tombe lentement contre moi.
J'ai encore peur d'apercevoir sa silhouette au coin de ma rue.

Il y avait des fois où toute ma pensée allait vers lui. Vers l'hypothèse de nos corps qui se collent et se mélangent. Vers cette douceur.
Il y avait des fois terribles où surgissait sa présence au coin d'une rue pour s'évanouir sur le visage d'un autre, dans la démarche d'un autre, et c'était tant mieux : j'aurais fait quoi? N'empêche toute la géographie de la ville était changée. Ça se découpait en rues où il était peut-être et en rues où il était pas, où il aurait pu être.
Faut dire encore que toi t'étais pas là et que ça, c'était de la certitude, et que ton absence en dents de scie se prolongeait sans que tu l'remarques.
Lui tous les jours et ses sourires, et ces mêmes lieux qu'on a connu à des époques différentes, où on aurait pu s'rencontrer mille fois mais c'est pas arrivé, et ça arrive maintenant.

Tu vois j'avais la cervelle comme une forêt tropicale, tout bruissait, tout était luxuriant et certains dieux devaient se marrer comme une bande de singes hilares, à me voir dealer avec tout ça. 

Et puis c'est retombé.
J'ai roulé des kilomètres loin de son sourire, j'ai rencontré par hasard des amis qu'j'allais voir, c'était comme un rendez-vous secret facile, vu que c'était dans le bar où on se retrouve toujours. J'étais quand même contente, comme un signe d'être au bon endroit au bon moment.
Y'avait la cousine que j'aime, on avait trouvé un plan des rues dans les toilettes du bar sauf qu'il était faux, on a dut courir, ça m'donnait chaud, déjà que j'ai toujours chaud.
J'ai vu un beau spectacle qui me faisait prendre des notes distendues dans le noir. J'écrivais de manière décousue des mots comme LUMIERE et des bouts de textes.
J'ai appris qu'on lisait des fois mon blog (j'assume pas), ça m'faisait rougir de honte pis d'plaisir, mais j'étais toujours contente.
Je pensais plus à lui, je pensais qu'à toi.
Et c'était bien.