La
nuit tes rêves faisaient une onde mauve et verte et mouvante sous ta
peau, je me demandais qui tu es derrière le rideau tiré de ta
paupière, quand tu dors, au fond fond plus profond.
Je
te regardais avant l'heure du réveil, je voyais la faune de tes
rêves danser sous ta peau comme une jungle qui se balance, le jour
se lève toujours trop tôt qui les bouscule et tu te tournais au
fond fond plus profond du lit, enseveli sous les oreillers.
Au
chant du réveil j'avais les yeux qui voulaient pas s'ouvrir à cause
de la fatigue -même le matin- et je sortais du lit comme un automate
avec des restes de sommeil et de songes dans les creux de la peau,
autour des lèvres, des clavicules, des genoux, de l'aine. C'était
dur de mettre des habits par-dessus. Tandis que les tiens dansaient
encore, mes rêves à moi repliaient leurs grands cous pour se ranger
sous les tissus, ils ébouriffaient leur crinière d'argent et se
lovaient sous les jeans et le soutien-gorge, ils se mettaient les uns
aux autres le doigt sur la bouche et dans les oreilles pour pas voir
la journée s'avancer, la journée de travail qu'est le rouleau
compresseur de nos rêves à tous.
Des
fois chanceuses tu te levais avec moi et tu préparais le café.
J'aimais ça quand je t'entendais ouvrir la cafetière, enlever le
marc de café et rincer pis remettre. Allumer la plaque et poser
dessus; ça chauffe et on va entendre le bruit bientôt. La cafetière
qui rugit j'aimais ça, quand tu t'affairais gentiment dans la
cuisine avec ta nudité du matin, je pouvais passer derrière toi en
douce croquiner une fesse, la tienne ronde dans ma paume -mille fois
mieux qu'une tartine. T'avais zéro habit pour te protéger la peau
contre mes dents et ta peau c'est meilleur-p'tit dèj-du-monde.
Mais
le plus souvent je me levais seule avec la radio qui disait des
mauvaises nouvelles par exemple des trucs de crise économique qu'en
finit pas -crise perpétuelle du système- pis d'assassins évadés,
je me disais bonjour le matin, pis j'éteignais, juste je voulais
entendre la chronique de celui qui conclut toujours par « le
ciel vous tienne en joie », à chaque fois ça met un peu de
baume au cœur avant de s'avancer dans le monde en pagaille. Pis des
fois j'avais envie de rien, juste de silence et d'un livre, comme ça
je vis des aventures avant le quotidien des huit heures par jour.
Ces
matins-là, dans la salle de bain, je lançais des regards de biais à
ma jumelle du miroir, j'avais pas spécialement le cœur à lui faire
des mines coquettes ni des grimaces, ma tête avait toujours un air
surpris que je lui impose ça, d'avoir une heure pile pour se lever,
pour manger, pour t'embrasser pis partir. Ma tête dans le miroir me
regardait avec une question à la bouche : t'es-tu pas bien
follette, dis, de pas rester chez toi pis faire des trucs que t'aime
le plus au lieu de ça ? Au lieu de ça: partir et travailler
long comme trois bras et un jour de pluie.
Je
fermais les yeux pour pas voir cette question en face, et puis je
fermais la porte avec toutes les clefs, la clef de la maison, la clef
de nos nuits, la clef de tes paupières et la clef de mes rêves. Des
clefs pour les choses les plus précieuses que j'ai.
Des
fois avant que je parte tu attrapais mon bras, tu m'attirais dans ton
feuillage assoupi, dans les oreillers, et nos respirations
s'emmêlaient. Mes rêves pliés en quatre prenaient une inspiration
délicieuse et expiraient lentement, ma peau sous les vêtements
avait son grand frisson – c'était l'ombre et la lumière de ta
jungle au petit jour. Ton bout des doigt retroussait mes bouts des
seins qu'étaient pas trop heureux d'être emmaillotés.
Après
ça j'avais du retard, fallait qu'j'parte vite, démarrer la voiture
et s'en aller à toute berzingue là où m'attendaient certains fous
qu'étaient pas les pires qu'on croit -mes autistes aimés.
Je
sais pas comment c'est les matins dans la vie d'un autre mais juste:
penser à toi sous les draps pis mes rêves pliés dans mon cou sous
les habits, ça va, c'était doux. Y pouvait m'arriver les pires
trucs après ça, j'avais du vent dans mes voiles pour aller jusqu'au
bout du jour.