dimanche 9 juin 2013

Le vent dans les voiles




 
La nuit tes rêves faisaient une onde mauve et verte et mouvante sous ta peau, je me demandais qui tu es derrière le rideau tiré de ta paupière, quand tu dors, au fond fond plus profond.
Je te regardais avant l'heure du réveil, je voyais la faune de tes rêves danser sous ta peau comme une jungle qui se balance, le jour se lève toujours trop tôt qui les bouscule et tu te tournais au fond fond plus profond du lit, enseveli sous les oreillers.

Au chant du réveil j'avais les yeux qui voulaient pas s'ouvrir à cause de la fatigue -même le matin- et je sortais du lit comme un automate avec des restes de sommeil et de songes dans les creux de la peau, autour des lèvres, des clavicules, des genoux, de l'aine. C'était dur de mettre des habits par-dessus. Tandis que les tiens dansaient encore, mes rêves à moi repliaient leurs grands cous pour se ranger sous les tissus, ils ébouriffaient leur crinière d'argent et se lovaient sous les jeans et le soutien-gorge, ils se mettaient les uns aux autres le doigt sur la bouche et dans les oreilles pour pas voir la journée s'avancer, la journée de travail qu'est le rouleau compresseur de nos rêves à tous.

Des fois chanceuses tu te levais avec moi et tu préparais le café. J'aimais ça quand je t'entendais ouvrir la cafetière, enlever le marc de café et rincer pis remettre. Allumer la plaque et poser dessus; ça chauffe et on va entendre le bruit bientôt. La cafetière qui rugit j'aimais ça, quand tu t'affairais gentiment dans la cuisine avec ta nudité du matin, je pouvais passer derrière toi en douce croquiner une fesse, la tienne ronde dans ma paume -mille fois mieux qu'une tartine. T'avais zéro habit pour te protéger la peau contre mes dents et ta peau c'est meilleur-p'tit dèj-du-monde.
Mais le plus souvent je me levais seule avec la radio qui disait des mauvaises nouvelles par exemple des trucs de crise économique qu'en finit pas -crise perpétuelle du système- pis d'assassins évadés, je me disais bonjour le matin, pis j'éteignais, juste je voulais entendre la chronique de celui qui conclut toujours par « le ciel vous tienne en joie », à chaque fois ça met un peu de baume au cœur avant de s'avancer dans le monde en pagaille. Pis des fois j'avais envie de rien, juste de silence et d'un livre, comme ça je vis des aventures avant le quotidien des huit heures par jour.

Ces matins-là, dans la salle de bain, je lançais des regards de biais à ma jumelle du miroir, j'avais pas spécialement le cœur à lui faire des mines coquettes ni des grimaces, ma tête avait toujours un air surpris que je lui impose ça, d'avoir une heure pile pour se lever, pour manger, pour t'embrasser pis partir. Ma tête dans le miroir me regardait avec une question à la bouche : t'es-tu pas bien follette, dis, de pas rester chez toi pis faire des trucs que t'aime le plus au lieu de ça ? Au lieu de ça: partir et travailler long comme trois bras et un jour de pluie.
Je fermais les yeux pour pas voir cette question en face, et puis je fermais la porte avec toutes les clefs, la clef de la maison, la clef de nos nuits, la clef de tes paupières et la clef de mes rêves. Des clefs pour les choses les plus précieuses que j'ai.

Des fois avant que je parte tu attrapais mon bras, tu m'attirais dans ton feuillage assoupi, dans les oreillers, et nos respirations s'emmêlaient. Mes rêves pliés en quatre prenaient une inspiration délicieuse et expiraient lentement, ma peau sous les vêtements avait son grand frisson – c'était l'ombre et la lumière de ta jungle au petit jour. Ton bout des doigt retroussait mes bouts des seins qu'étaient pas trop heureux d'être emmaillotés.
Après ça j'avais du retard, fallait qu'j'parte vite, démarrer la voiture et s'en aller à toute berzingue là où m'attendaient certains fous qu'étaient pas les pires qu'on croit -mes autistes aimés.

Je sais pas comment c'est les matins dans la vie d'un autre mais juste: penser à toi sous les draps pis mes rêves pliés dans mon cou sous les habits, ça va, c'était doux. Y pouvait m'arriver les pires trucs après ça, j'avais du vent dans mes voiles pour aller jusqu'au bout du jour.