samedi 27 avril 2013

Leur pelage sent l'odeur comme dieu





J'avais les tâches de rousseur qui s'exprimaient autour des yeux, une amie me le disait tous les ans à la même période « tiens t'as tes tâches de rousseur là », c'était un rendez-vous du printemps avec elle, elle le savait pas avant que je l'écrive là.

On avait passé le week-end chez ta cousine, dans les collines.
J'avais super fort aimé Froufrou la ponette, même si je l'avais pas dit et même si elle avait peur dans le chemin pour aller à son parc. Elle levait sa belle tête avec de l'inquiétude dans le regard, ses oreilles dressées, tendues pour capter je savais pas quels bruits de bête mystérieuse tandis que de ses pattes délicates elle avançait nerveuse dans la boue.
On n'avait pas emmené les chiens, ils restaient à la maison, ils nous suivaient derrière le grillage en poussant des petits jappements aigus, comme s'ils souffraient beaucoup. Je connais pas des meilleurs comédiens que ces chiens là.
La notre (de chienne) elle passait son temps à ramasser dans sa gueule des morceaux de crottin qu'elle tenait entre ses mâchoires comme un trésor fragile. Pis avec des petits regards en biais pour pas être suivie, elle allait se mettre dans un coin pour les mâchouiller en douce. C'était comme une passion pour elle et quand elle en avait assez de les manger, elle les déposait délicatement sur le sol avant de se rouler dedans. Ça lui faisait un pelage un peu vert sur les bords, qui paraissait vraiment dégueu, mais ça sentait pas tant au final.

Nous, on allait changer de maison pour de bon. Je laissais derrière moi mes fous chéris aux allures débridées (à cause de l'été ils avaient les cheveux en pagaille et un air débraillé de mai), j'allais les laisser exactement, et ça me faisait un vague à l'âme pas possible mais quoi, je voulais vraiment déménager.
On visitait des maisons en pagaille.
On en voulait une avec un big jardin du vert en plein et de la pierre sur les murs mais pas chère, dans un coin isolé mais pas trop, genre de rêve immobilier pas accessible du tout mais on a le droit de rêver.
J'avais décrété que j'aurai des lapins dans la nouvelle maison vu qu'elle serait tellement big.
Ca devenait une discussion sans fin juste parce que toi t'avais ça en horreur, l'idée des lapins, tu me parlais des terrines que t'en ferais et je criais Touche pas à Bonnie et Clyde (ça sera ça les prénoms de mes lapins, tant pis si c'est deux mâles), quand même tu m'accompagnais dans les animaleries, on checkait les lapins et leurs airs mutins derrière la vitre, ça faisait mal aux yeux tellement ils avaient l'air pas heureux dans leur paille synthétique.
Avec les lapins on voulait un percheron – un black one pour te faire plaisir. Il ira très bien dans le jardin on disait (avec les lapins, ça c'est ma voix qui rajoute).

Bref les maisons et la ménagerie avait pris une bonne partie du week-end.
Aussi on buvait du lait de chèvre sorti tout juste d'une chèvre -une vraie. Ça faisait des moustaches comme dans les anciennes pubs pour les produits laitiers, sauf encore plus belles à cause du goût chèvre du lait. C'est un goût comme l'herbe coupé, comme les bêlements dans la paille, comme le poil doux des chevrettes qui se poussent pour avoir des caresses. Tous les matins elles sautent et courent en bêlant pour venir mettre leurs petites têtes et leurs cous graciles dans nos mains, tellement elles veulent de notre amour.

On avait la peau sucrée de sueur. Ça sentait les oliviers, une odeur verte et goûteuse à travers la peau, vu que je passais des demies journée dans les arbres. C'était des fois dangereux avec le mistral, on s'accrochait aux branches, le sécateur dans la main on criait des mots aux autistes en bas qui s'balançaient sans lever l'nez, y nous entendaient pas avec tout c'vent.
Dans la serre on surveillait de près les bébés plantes, elles avaient eu froid longtemps, et maintenant ça suait le végétal le long de leur tige nouvelles-nées, on voulait pas qu'elles fripent comme des vieillards.

Les premiers laits de chèvre, les premiers bébés-plantes, la sueur d'olivier, les tâches de rousseur, tout ça des rendez-vous de printemps.

Après le travail on allait à vélo se baigner dans un étang, on ressortait avec l'odeur de la vase sur nos peaux. Ça faisait un brin crapaud partout où qu'on aille après ça.

Et puis partout où qu'on aille ça sentait l'été. On se déroulait des idées de voyages, d'herbe sous les pieds, de feux de camps et de belle étoile. C'était kitsch et beau.

Avec tout ça, des gros changements s'annonçaient dans ma vie (les lapins par exemple), et j'avais quand même besoin d'un brin de rassurance. J'écoutais en boucle des chansons usées comme des fûtes-velours aux côtes élimées, avec des fois des écarts d'infidélités mais très peu -toujours les mêmes ça te rendait fou. Je relisais des vieux livres, j'aimais bien, tu connais déjà l'histoire par cœur mais tu veux la revivre avec les persos tellement tu les aimes, je retrouvais des poèmes d'enfance, ça me faisaient comme des citadelles imprenables, intouchées par l'avenir. Et puis aussi je voulais des caresses d'animaux, leur pelage sent l'odeur comme dieu. Disons, si dieu a une odeur c'est forcément celle-là.

Ou bien peut-être une autre.
L'autre soir quand t'as commencé à toucher l'en dedans de ma cuisse et des petites morsures dans mon cou, ensuite tes paumes de mains sur les os de mon bassin qui me poussent un peu, pis tes regards et ta bouche sur mon ventre et tout ce qui s'en suit, quand on se tient l'un à l'autre avec de l'envie plein les corps, et qu'on se presse les peaux l'une contre l'autre, ça devient mouillé et chaud et gémissant, et l'odeur d'après nos corps l'un dans l'autre, ça doit encore plus être ça, son odeur à dieu.



  Yvonne Jean-Haffen

mercredi 3 avril 2013

Mélodie O. # 1




Le sang ne coule plus dans les culottes de Mélodie O. Le sang ne coule plus, qui devrait couler depuis onze jours déjà.
Elle avait pas d'inquiétude au début, c'est vrai ces choses-là arrivent quand on arrête la pilule. La nature reprend ses droits sur le corps, et la nature est pas si réglé. Elle compte pas les jours elle. Mélodie compte maintenant.

Onze jours et des nausées ça commence à faire beaucoup.
Elle y pense presque tout le temps.
Elle pense à comment elle se sent ronde et lisse et presque fragile.
Elle pense à Joshua qui dort dans la pièce à côté.
Et puis à nouveau elle peut pas s'en empêcher, elle retourne dans la salle de bain, elle repousse la porte par habitude.
Elle a besoin, peut-être, de dissimuler son geste.
Elle soulève légèrement sa robe, baisse sa culotte. Toujours pas de sang.
Un sourire étire ses lèvres, elle lance un regard à son reflet dans le miroir. Son sourire s'étire encore.

On se calme, elle se dit en remontant le long de ses cuisses la culotte immaculée.

Quittant la salle de bain, elle se glisse dans la chambre, jette un œil à la masse dormeuse sous les couvertures.
Mars est gris, elle se répète.
Onze jours, elle se répète aussi.
En silence elle enlève sa robe. Le tissu tombe sur le carrelage froid ; elle soulève le drap.
Là, sous les couvertures, la chaleur de Joshua. Les mains de Mélodie cherchent les creux de son ventre, ça le fait geindre doucement.
« J'les ai toujours pas, elle dit. »
Lui il dit pas un mot de réponse, mais il se tourne vers elle, et dans son demi-sommeil y sourit.

Plus tard Mélodie est dans les toilettes – encore une fois.
Elle guette sa culotte en silence. Elle compte les jours et les demi-journées maintenant. Elle revient sautillante vers Joshua.
Le fond bleu de sa culotte bleue lui met des soleils plein les mains.
Joshua, il regarde Mélodie d'un pas en arrière, il la regarde avec ce qu'elle a dedans.
Le soir, il se colle contre son ventre. Il pose ses mains sur elle, d'une manière spéciale pour toucher plus loin, plus profond sous la peau.
Mélodie se demande s'il fera ça tous ces mois, jusqu'à la fin. Ou si ça lui passera.

Aussi, il la pelotonne dans les coins. Il la pousse doucement sur les murs de la maison, ça fait comme les châteaux-balloons quand on est petit, on saute, ça rebondit, on tombe on se fait pas mal.

Joshua, il a de la douceur plein le corps. Il lui dit, A l'intérieur les atomes mettent toute leur énergie à se rencontrer.

Plus tard elle sourit partout. Même ses genoux sourient, qui portent déjà ça.
Est-ce qu'on s'arrondit jusqu'aux os ?
Elle lui parle déjà. Elle lui dit parfois des mots, sa main s'égare sur son ventre, elle se surprend à faire ce geste, elle trouve ça étonnant, l'instinct qui guide sa main jusqu'à son ventre, sans qu'elle y pense, sans qu'elle le veuille vraiment, sa main qui protège.

Elle pense des choses comme Accroche-toi bien, en voiture, quand elle court, n'importe où. Elle peut pas s'empêcher de penser ces mots-là.
L'instinct fait sourire et peur à fois. C'est une chose infime qui se développe dedans, et dont on sent déjà qu'elle sera trop vaste pour qu'on la contienne.

Elle observe Joshua aussi. Elle pense à comment il sera transformé, à la voix qu'il aura pour lui parler, aux jeux qu'ils inventeront.
Lui il dit repose-toi, et va voir ton soigne-vagin.
Mélodie, elle veut pas voir de médecin, ni pisser sur du carton.
Elle veut que ça pousse dans la chambre noire de son ventre, sans autre lumière que sa parole à elle – sur ce mystère.

Elle se sent comme un poisson-lanterne nageant dans les abysses, et qui porte sa lumière dans le rond de son ventre.