Anna
Morisini
J'ai
les genoux qui collent
et
des yeux qui piquent comme brûlés
c'est
l'été, mets tes lunettes noires
pour
chausser la fraîcheur
sur
tes yeux
c'est
l'été faut pas s'embrasser sinon on jute
sauf
de loin ça on peut.
Y'a
tout qui ruisselle de soleil le ciel est jaune
qui
éclabousse nos yeux brûlés
y'a
tout qui brûle, les herbes les arbres les bêtes
elles
se couchent dans les ombres
haletantes
pantelantes
elles
ont les yeux qu'implorent et qui se ferment doucement
-
c'est la folie chez les mouches.
Y'a
tout qui colle
la
peau des cuisses
la
plante des pieds sur le carrelage
faut
surtout pas monter dans les voitures
sinon
tu brûles
la
ceinture colle ta peau pas cachée du torse
au-dessus
des seins presque pas cachés
sous
les tee-shirts qui couvrent pas trop-trop: c'est l'été.
Y
fait trop chaud pour se caresser les corps
on
est comme las, languissants
on
veut se saouler de jus d'fruits froids
on
veut tout froid
on
se touche pas de tout le jour
avec
nos corps presque-pas-d'habits
dans
la maison
derrière
les volets mis en cabane
je
vois ta peau un peu mouillée
toute
nue, ta peau
le
soir on devient fou
dès
qu'y fait frais
on
se jette l'un sur l'autre
avec
des frémissements affamés
on
s'empoigne se chevauche se mélange
on
se mange les peaux salées de la journée
pis
sous la douche -les deux
avec
les cheveux qui coulent froids sur la nuque et le dos.
C'était
le temps où on faisait des cartons
on
empilait dans des caisses et des sacs et du papier kraft épais
on
empilait nos vies là-dedans, tout bien plié rangé dans l'ordre
c'est
dur les cartons l'été
faut
du courage pour faire et défaire des piles de vie.
Tu
faisais tout avec énergie
moi
j'en avais zéro même pas une lichette j'te dis, quasi rien
je
restais étalée sur le lit
avec
des regards pour toi qu'agite toutes les choses de not' maison
j'me
sentais bousculée
mais
c'était bien.
J'avais
encore du mal avec ça
même
si j'étais contente.
J'avais
du mal à cause des autistes
y
m'avaient comme fendillé le cœur avec mille radicelles et des
lianes autour des chevilles
pour
me retenir auprès d'eux.
Ça
m'faisait des larmes là, dans les yeux côté coeur
quand
j'y pensais
alors
j'essayais de pas trop penser.
J'essayais
-à la place- de tout bien expliquer à celle qu'allait me remplacer
auprès d'eux
elle
voyait bien que j'avais la marée montante jusqu'aux fenêtres
elle
disait rien sur ça
elle
avait une lumière dans les yeux que j'trouvais rassurante -pour les
autistes.
C'était
pas facile de lui expliquer
en
6 heures toute la vie depuis 2 ans et demi avec eux
j'avais
la voix qu'allait trop vite pour tout dire d'un coup, pour rien
oublier
pour
qu'elle ait tout dans la tête même si elle capte pas tout tout
d'suite
Je
voulais la rendre forte
avec
mes mots
qu'elle
soit toute gonflée de mes 2 ans et demi
je
voulais tout lui verser dans l'âme -ce qu'elle pourrait prendre.
Pendant
ce temps tu continuais de découdre la maison avec notre vie dedans.
On
s'chicanait pour savoir qui c'est qui met le plus de bazar dans les
coins
t'étais
bien arrogant pour dire que c'était moi et à l'aise encore.
Tu
faisais des listes
(exagérées)
de
tout ce que je laisse traîner
et
j'admets ici -chose que je dirais jamais devant toi
que
t'avais pas toujours tort.
Y'avait,
c'est vrai, des tasses pis des p'tites cuillères pis des papiers pis
des stylos pis du bric à brac pis des fringues pis des livres en
PAGAILLE
chaque
fois que tu soulèves un truc chez moi y'a un autre truc en dessous,
c'est la vie.
J'sais
pas ranger sauf chez les autres.
Chez
les autres j'fais toujours tout prop' et bien plié.
T'avais
la vie dure pour faire les cartons avec c'bazar
tu
m'faisais quand même des surprises de Noël en juin-soleil-chaud
avec
des tas d'habits pliés et rangés sur le lit
que
j'avais pu qu'à mettre dans les cartons
des
petites piles pleines de couleurs textiles, même les culottes
tu
trouvais une place spéciale pour elles
t'étais
comme au top du pliage de dessous
et
j'avais pu qu'à les ranger quand je rentrais.
Le
soir
y'a
la nuit qui venait avec lenteur
par
touches secrètes
par
étapes, et discrète
et
nous
avec
nos bouches en ventouses légères
nos
mains qui se charpentaient les peaux
pis
nos jambes et nos bras et nos cuisses qui se caressaient
pis
qui devenait dur
pis
qui devenait mouillée.
On
s'enroulait des lianes solides, vertes et jaunes
autour
de nos ventres ondulants
j'avais
les cheveux qui collaient à tes cuisses
quand
j'me penchais sur toi
c'est
l'été.
?