dimanche 8 juin 2014

Liste de choses remarquables la nuit au début de l'été.



 


Liste (non-exhaustive) de choses remarquables la nuit au début de l'été

 
Remarqué : On habite une ville qu'a des pavés qui sentent bon la nuit -j'ai remarqué ça.
J'ai remarqué aussi le velours de l'herbe quand nos pieds s'enfoncent dedans. (L'herbe est moelleuse et douce.)
J'ai remarqué que les gens se déplacent d'une manière spéciale ensemble, ça révèle une philosophie de la vie : aller droit au but en silence OU avancer en s'arrêtant à chaque coin de rue pour tchatcher.
J'ai remarqué que j'aimais causer de nos secrets sur un coin de trottoir, entre deux crottes de chiens, avec un certain gars.
Y a le frémissement de la nuit qui se déplie,
et on est là. Où qu'on soit on est là.
J'ai vu aussi qu'y faut beaucoup observer les gens avant de les rencontrer pour de vrai.
Faut guetter patiemment le moment du regard juste, du mot juste, et dans cette attente, on goûte la nuit.

Remarque : Faut danser (si possible) et quand on danse c'est toujours la même histoire, le même battement de coeur, la même paupière qui s'ouvre et se ferme : on a le corps multiple et sous nos peaux les limites qui nous endiguent explosent.
- remarquer – sous la peau la peau la peau-
la peau quand on danse à rien à voir avec le reste du temps. Exactement comme quand on baise/nique/fourre/fait l'amour/se pénètre/ rayer les mentions inexactes.

Remarquer : Des fois on se fait inviter par des types qui ont l'air amoureux, et qui doutent de leur beauté. Ils tiennent nos mains timidement, ils ont peur du rythme, ils savent pas qu'ils sont les plus puissants amoureux de la terre. Ils nous font nous sentir fortes comme des montagnes, mais je sais pas pourquoi c'est si triste : on repart rarement avec eux. On préfère, en général, ceux qui nous font nous sentir pas sécures, ceux qui nous font douter de nous, ceux qui nous font nous demander si on n'a pas les mains trop moites et les aisselles qui sentent. Et on s'invente des stratagèmes pour épater ce garçon-là, qui nous regarde pas, pendant que le danseur timide nous donne tout ce qu'il a. Y a des fois des gens incertains, flous, transparents, qu'ont pas l'habitude qu'on les écoute ni qu'on leur accorde de l'importance; Ils ont l'air faits dans du verre fragile. Ils ont souvent de belles vérités. Mais les gens malheureux n'attirent pas le bonheur. Est-ce que certains chercheurs se penchent sur ce problème existentiel de l'humanité ?
Mini-drames invisibles et bêtes des soirées dansantes.

Remarquer : Les clochards.
J'ai des fois envie de caresser les hommes ivres et solitaires -qui sont parfois des femmes- qui arpentent la place et qui parlent seuls. Ils ont le regard halluciné. J'voudrais peindre leurs corps en doré, et marcher fièrement auprès d'eux, en disant au monde, regardez tous cette belle créature humaine. Mais non, ils ont des gros blousons dans le mois d'août, ils sont saoules et ne voient pas quand on les aime, ou bien par bribes, par hoquets, par erreur.

Remarqué ce type quand je l'ai rencontré après avoir dormi chez lui des mois auparavant -il était pas là. Voir les murs, les plafonds, le plancher d'un nouvel oeil. Poser un visage sur l'évier, sur le canapé, sur les fenêtres. Un beau gars en papier glacé, fin prêt pour une pub à paraître dans Grazzia. Et toutes les filles qui doivent tomber comme des petits pains dans ses bras chauds. Sa face était lisse quand y souriait pas. Le genre de type dont on peut tomber facilement amoureuse -quand on a 17 ans. Une chose encore que je sais pas, c'est pourquoi ce qui sonne creux sonne meilleur que ce qui sonne plein, souvent ?


Remarquer sur le dancefloor : Y avait pas d'boule à facettes, c'étaient les autres gens les facettes. J'ai croisé un type qu'avait un tatoo malabar sur le front, il était vraiment beau avec sa tête d'enfant. Il était du gang des fragiles à l'hélium, mais le tatoo l'avait rendu téméraire. Un genre de kamikaze de la timidité.


Remarquer : à force de suer comme des dingues sur la piste de danse, y a ce moment où y faut de l'eau. De l' E A U. Alors on se fraye un chemin jusqu'à l'évier, on trouve le dernier gobelet en plastique propre au milieu des montagnes de mégots, de canettes, de restes de pizza et de gobelets sales, et on tangue (souvent on tangue) jusqu'à l'évier. Faut connaître ce bruit-là de l'eau quand elle sort du robinet et s'écrase contre le gobelet tendu, en pleine nuit, quand on a picolé. On dirait qu'on pourrait boire des heures, ça serait toujours aussi pur dans notre gorge. On se sent comme une plante sèche qui gonfle ses racines, on se sent les feuilles qui poussent, là, au milieu de la cuisine dégueulasse, le sol collant d'alcool, la musique de la pièce à côté qui saoule nos oreilles. Genre d'extase pas nommable avec ce qu'y a de plus sain sur la terre.


Remarquer la première touche de bleu dans le ciel et sentir encore ce besoin de saisir le monde : dormir ce s'ra pour quand on s'ra mort. Dehors y a le jour qui se lève. Des pigeons s'ébrouent à droite à gauche. Les travailleurs matinaux sont déjà là. Les éboueurs sont déjà là, les balayeurs de trottoirs en habits fluo avec leurs balais, les dernières cigarettes, les dernières notes de musique échappées d'une fenêtre -les voisins râlent, ils menacent.
Les cafés sont déjà ouverts, et les boulangeries, - et on n'a pas dormi.

Remarquer (essayer de) : Un homme hagard rassemble ses sacs et son caddy. Où il va ? On ne sait pas, on ne se pose plus la question. On ne le remarque plus. Il traîne des pieds dans la ville tout le jour, il parle aux trottoirs et plus personne ne le voit.

Remarquer, nuit blanche comme des dieux, au petit matin, redevenir des hommes (minuscules). 


 Montage personnel

samedi 24 mai 2014

Les jours tristes.

(On me dit souvent que c'est dur d'écrire sur le bonheur. C'est vrai que le bonheur n'a pas beaucoup d'intérêt quand on le raconte. Ce qui compte c'est de le vivre. Pour autant, je trouve qu'il n'est pas facile non plus d'écrire sur le malheur, sans virer dans le pathos. Ceci est une tentative.

Enfant mort-né, il faut avaler plusieurs fois sa salive pour pouvoir le prononcer, une première fois, puis une deuxième, et toutes celles qui viennent après. Enfant mort-né pour l'hôpital, pour la sage-femme, pour les pompes funèbres et le crématorium, pour les services sociaux et rebelote, à cause de toutes les fois où il faut redire notre histoire, qu'on est là pour un enfant mort-né, le notre, qui était dans mon ventre, et qui n'y est plus.
A force de le dire, je l'entends comme un seul mot, et ça n'a presque plus de sens. Enfant morné. Comme une couleur nouvelle, une nationalité particulière et parallèle, un enfant spécial venu d'ailleurs.

*

Je me rappelle de ce jour où on est allé déclarer notre enfant à la mairie. Il y avait une borne qui distribuait des tickets avec des numéros, il fallait faire la queue, comme à la poissonnerie des supermarchés. Sauf que pour avoir son ticket, il fallait choisir, presser le bouton « naissance », « décès », ou « mariage ». On a hésité un moment. On a choisi « naissance ».
Il a fallu attendre quarante minute dans un couloir, avec des pères seuls et heureux et des familles nombreuses. Tu étais pâle et lointain, et tu pressais ma main dans la tienne à chaque instant.
La porte du bureau des naissances s'ouvrait régulièrement, tous les quarts d'heure environ, laissant sortir et entrer une nouvelle bonne nouvelle. Et puis ce fut notre tour. On a franchi la porte et on s'est assis sur les chaises, la jeune fille nous souriait, et on a dit, comme on a appris à le faire Voilà, on est là pour un enfant morné.
Le sourire de la fille s'est légèrement figé. Et une autre dame, plus âgée, nous a dit
« Ah, mais pour ça c'est pas le bon bureau, il faut aller à côté, chez les décès. »
Et c'est nous qui nous sommes figés.
On s'est levé, on a ouvert la porte, il s'était écoulé à peine une minute, on est repassé devant les pères et les familles qui attendaient, et on a ouvert la porte à côté, avec écrit dessus Décès.

Ma main n'a pas quitté la tienne pendant tout ce chemin, juste quelques pas, mais des siècles de désert et de solitude.

*

Maintenant, les autres enfants m'apparaissent comme des extra-terrestres, des êtres semi-magiques qui n'existent que pour les autres, et que je peux voir, de loin seulement.

*

Si je suis une mère mais que je n'ai pas d'enfant, alors je suis une mère ?
Cette question me travaille.
Je me rappelle, quand j'étais petite, j'étais -je crois, la seule de ma classe à avoir un demi-frère, et cette notion m'a posé problème quelques temps. J'ai fini par décider que tout était question d'amour, et qu'il n'y avait pas de demi-amour. J'ai donc un frère. (Et je suis donc une mère.)
Une mère d'une couleur nouvelle sans doute, d'une nation particulière et parallèle, une mère spéciale.
Une mère mornée.
Voilà.

*

Il y a eu ce jour où, téméraire, j'ai pris dans la salle de bain mon tube de mascara. Il faut du courage pour maquiller ses yeux quand on sait qu'on va pleurer. On se dit, aujourd'hui, zéro larmes. Et le mascara est comme un pari avec soi-même.
(Voilà.)

*

Plus tard je me gave de cerises en lisant le journal, le jus rouge marque les lèvres et le bout des doigts, ça fait des traces carminées sur les pages. J'ai un bon mois de retard sur la presse, parce que -tu sais. Je découvre le rapt de centaines de lycéennes au Nigeria et
je me sens comme une petite crotte
sur la croûte de la Terre.
Je voudrais être Wole Soyienka,
le dramaturge nigérian,
premier homme noir et africain à avoir eu le Prix Nobel de littérature,
et que je n'ai jamais lu
et que je ne connaissais pas avant hier.
Je suis vraiment vraiment,
cette petite crotte qui vogue
impuissante, ridicule, insignifiante
sur l'écorce terrestre.

Il y a tellement tellement de gens à genoux partout, et qui souffrent, et qui pleurent.
Ça n'empêche pas les merles de chanter, je me demande pourquoi.

Le jour du rapt, ce même jour exactement, on a appris, pour le cœur de notre enfant. 


Photo personnelle

dimanche 23 mars 2014

Vingtième chronique






Le soleil tapait sur la terrasse tous les matins vers 11h15, c'était mon rendez-vous quotidien avec le bonheur.

Je lisais le manuscrit d'un ami quand j'ai eu envie d'écrire, chaque fois que je lis, j'ai envie moi aussi d'enfiler des mots sur des phrases, de monter, os après os, le squelette d'un récit, et à mesure que j'empile les mots, j'me déshabille. Il y a là un paradoxe que j'm'lasse pas d'observer, plus on noircit des pages et plus on se sent à nu, comme si la fine carapace qui nous séparait du reste du monde -protection banale et vaine, se r'trouvait dans ces petits caractères noirs qui clapotent depuis l'clavier jusqu'à l'écran.
J'ai beaucoup lu cette année. J'dis cette année, comme si elle touchait à son terme, mais en fait non. J'pense souvent en année, d'un mois jusqu'au douze précédents, j'remonte le fil du temps, j'fais souvent des bilans.
J'ai beaucoup lu cette année. J'ai lu pour l'école, j'ai lu pour un prix, j'ai lu des textes de gens que j'aime lire. Chaque fois que je lis, la foudre me prend, et j'ai envie d'écrire, même si j'ai rien à dire – de spécial. Alors j'écris des banalités sur la vie qui suit son cours. Et j'les mets sur un blog, et vous les lisez, et j'me sens vaine, parce que j'trouve pas toujours que ça vaut la peine d'être lu. Mais je peux pas m'en empêcher, comme un toc, une manie, peut-être une névrose.

Parfois c'est pesant -écrire. Parfois c'est pas libérateur, et ça a rien d'un roman, ça a rien d'une gloire qui descendrait depuis le ciel jusqu'à toi, qui t'apaiserait, te comblerait une fois le texte fini. Avant j'avais ça. J'écrivais pour calmer une douleur, comme on met sa main sur un endroit blessé, par réflexe. Avant c'était comme ça l'écriture pour moi, comme un pansement sur mes sensations. Maintenant non, écrire me calme pas, j'ai de l'angoisse dans le corps en écrivant, je sens les muscles de mon dos qui s'tendent, j'me sens comme un athlète qui donne un assaut mais y a rien de visible, pas le plus petit record à battre, rien sur quoi mesurer sa force et sa réussite. Écrire c'est un vertige, rien qui dise: là c'est juste, là c'est bon, là t'as bien écris. J'sais pas ce que c'est de bien écrire. J'suis contente quand on me dit qu'on a aimé un texte. J'suis contente, et j'me questionne sur le pourquoi de l'amour d'un texte. Je sais pas.

C'était le retour du printemps. Je fais souvent des bilans, les changements de saison c'est des bons moments pour ça. J'repense aux autres printemps, je les vois comme des tableaux, je parcours ma galerie d'instants personnels. Il y a un printemps, je naviguais dans la folie et j'avais les mains dans la terre. C'était les naissances des chèvres, les autistes et les légumes. C'était les mers de plastiques qui recouvraient les champs, le tracteur et les gens quotidiens, ceux qu'on aime malgré tout, ceux qu'on aime moins. Il y a un printemps de ça, on vivait dans une petite maison collée à d'autres, rue de la Pastorale, les volets étaient verts, ce vert qui fait penser à du bleu, et qu'on voit sur les volets des maisons souvent – et qu'est plutôt moche d'ailleurs.
Il y avait devant la maison une petite cour avec des carreaux rouges, la plupart fendus, l'herbe poussait dedans, et on entassait les vélos et une mobylette (avec des flammes dessus!) à côté du petit portail, tout était petit dans cette maison. Deux pièces, une chambre qui donnait à l'arrière sur une autre cour toute en gravier, ceinte de murs -en béton, on avait notre coin de ciel à découper tous les jours en suivant le pointillé des lignes d'avion. La Provence connait de ces ciels aveuglants qui te cloisonnent à l'intérieur, volets clos.
Bref.

Je remonte le cours des printemps. Ça peut aller loin, je vais pas tout dire.
Aujourd'hui,
j'ai rendez-vous tous les jours avec le soleil qui tape sur la terrasse vers 11h15. Je sors de la maison les pieds nus sur le sol froid, je prétexte de travailler, je sors des feuilles, des crayons, un carnet. Je lis, j'griffonne des idées, des plans, je relis, j'penche la tête pour éviter le soleil, j'ferme les yeux, j'oublie que j'travaille.
L'enfant pousse. Du moins je le pense, puisque mon ventre gonfle. Déjà je marche moins vite, déjà je souffle, déjà j'ai du mal à porter les choses lourdes. Tu sais, c'est pas forcément évident cette fragilité. C'est comme ça, j'me dis, c'est comme ça. J'ai gagné une taille de soutien-gorge, -sinon.

C'est surprenant ces changements du corps. Dans mon cas, le corps ça reste une entité assez floue, j'ai plutôt l'impression d'avoir en permanence plusieurs morceaux de corps reliés plus ou moins entre eux, et qui se superposent et qui se chevauchent. Le corps se découpe en plusieurs zones distinctes. Y a les membres longs et gauches que je croise quand je suis pas au top de la confiance avec moi-même, c'est à dire la plupart du temps. Des fois les membres vont jusqu'aux doigts qui s'entrelacent nerveusement comme pour pas laisser échapper des secrets cachés dans les paumes des mains.
Les mains, parlons-en tiens, c'est des corps jumeaux à part entière je trouve. Elles ouvrent les possibles, fabriquent et détruisent, frappent et caressent, elles plongent dans la terre, elles plongent dans l'eau, elles se couvrent d'encre parfois, parfois nourrissent des bêtes et parfois des humains. Les mains renferment notre action sur ce monde.
Il y a quelque temps, mon corps tenait presque tout entier dans mon pied gauche. Les accidents qui détruisent le corps le réduisent à une partie minuscule si on la compare au reste. Moi j'étais devenue mon pied gauche, parce que mon pied gauche était plus vraiment le mien. Il a fallu du temps et beaucoup d'spécialistes et beaucoup d'patience. Mon pied gauche existe moins maintenant, il a repris sa place au bout d'ma jambe.

En ce moment j'suis un ventrutérus, presque tout l'temps. Je pense ventre, je bouge ventre, je mange ventre. Mon corps devient le corps d'un autre corps, et c'est drôle cet emboîtement, j'ai quelque chose d'une poupée russe je trouve. Parfois j'oublie que j'porte un enfant, pendant quelques instants, quelques heures grand max. Je suis concentrée sur autre chose, mon corps s'en est allé côté cerveau, je suis devenue un fil de pensées qui voyage à la vitesse de la lumière (quoique j'ai le plus souvent les idées lentes). Le corps s'efface, pour être plus qu'un front qui réfléchit, des yeux qui observent, une bouche qui échange. La tête l'emporte quelques temps sur le reste, mais ça dure pas bien longtemps ces mois-ci. L'utérus reprend la main, à cause du gros boulot qui s'y trame.

Et puis il a différents corps à différents moments, avec des gens différents. Le corps familial qui porte en lui des blessures générationnelles et des aptitudes génétiques, le corps travailleur qui prend la forme de ce qu'il fabrique, le corps aimant sur lequel viennent s'imprimer les caresses, le corps à géométrie variable dans l'amour ou dans la foule, le corps qui dort aux mouvements imperceptibles.
Le corps qui danse qui devient un pays à lui tout seul avec ces régions indépendantes et liées, qui parlent des langues ancestrales vaguement oubliées. Le corps complexe, qui se croit moche, avec des défauts qui prennent toute la place et nous rendent idiots et gauches et nous interdisent d'être heureux –pire corps ever j'pense.
Et pourtant c'est toujours le même, la même peau, les mêmes os, les mêmes veines charriant toujours leur quotidien d'hémoglobine.

J'ai connu un vieux gitan, un patchivalo. Il disait toujours « Le corps est le véhicule de l'esprit ».
Il y a aussi des gens qui parlent des mémoires chaudes gravées dans nos corps. J'ai la plupart du temps envie d'y croire, que toutes les fois où quelqu'un a touché mon corps, mon corps le garde en lui. Ça me fait une réserve d'amour pour les mauvais jours. Et comme j'ai peu d'mauvais jours, la réserve d'amour s'agrandit, et mon corps devient immense et gigantesque, et ces mémoires s'en vont peut-être réchauffer ceux qui m'entourent. J'aimerai ça en tout cas, que les vieux amis, les vieux amants se retrouvent sur chaque coin d'nos peaux, sans le savoir, se flairant dans la nuit; des spectres penchés sur nous qui se rodent autour, les bras chargés de confidences et les langues pleines de baisers présents et passés.

dimanche 9 mars 2014

L'amour groupie




?



Je m'rappelle d'un truc, quand j'étais au lycée, c'est comment j'avais l'coeur qui sautait une croche chaque fois que je croisais ce gars dans les couloirs.
C'était l'genre de gars toujours entouré mais qu'a l'air seul dans la foule, parce qu'il a un truc pas commun, qu'il paraît toujours branché sur une autre planète, genre de rêveur au regard flou qui te flanque le vertige quand ses yeux croisent enfin les tiens. Mini-arrêt cardiaque à chaque fois, même quand il me voyait pas, ce qu'était d'ailleurs le plus fréquent. Quand j'y repense, j'me sentais comme une droguée qu'aurait eu les bras cramé d'piqûres, sauf que c'était l'coeur qu'était tout brûlé par les sauts d'croche, un poinçon pour chaque vertige et du feu dans les artères. J'sentais sa présence comme les bêtes dans la savane qui se flairent mutuellement sans se voir, et ma peau tremblait sous ses habits.
Avec ma copine, on rodait dans les couloirs à certaines heures où j'étais sûre de l'voir, les mardis aprèm, les jeudis aprèm pis les vendredis matin. J'construisais un emploi du temps mental de toutes les fois où j'pourrais le croiser, et entre deux cours, on s'arrangeait pour sortir vite et pour traîner vers les toilettes parce qu'on savait qu'il allait passer juste là, devant nous. On f'sait celles qui cherchaient un machin dans leurs sacs (eastpack oblige, c'était dans les années 2000 tu sais) et j'sentais l'air bouger autour de nous, et c'était lui, parmi la foule de ses potes qu'étaient tous cool, mais tellement moins charmants.
Après ça, ma copine et moi on était nerveuses, on gloussait bêtement justement parce qu'on s'sentait bêtes et sans doute il fallait justifier cette bêtise, alors on se tirait la veste, le bonnet, le sac, on s'chicanait les ch'veux pis on ricanait sous cape, on s'dépêchait pour arriver quand même à l'heure en cours et on réfléchissait au prochain moment où on pourrait voir le type.
On mettait beaucoup d'notre cerveau et de notre énergie dans ce passe-temps, et on aurait peut-être pu avoir le prix Nobel de la traque lycéenne si ça avait existé.
Et après tout c'était pas plus stupide qu'autre chose. C'est vrai, à 15 ans on aurait pu s'cacher dans les chiottes pour fumer des joints, faire le mur pour aller en boîte avec juste une mini-mini-jupe, se faire racoler par des mecs plus âgés et boire des coups à l'oeil. On aurait pu voler des trucs pour se sentir exister, pour la montée d'adrénaline tu sais, pis on aurait eu à gogo d'maquillage, de bracelets en toc et de bagouses à deux sous, à force de chourer dans les boutiques pas chères, juste pour le fun. On aurait pu faire des fugues et arrêter l'école, mentir sur notre âge ou même tomber enceintes.

Mais nan, on était encore vraiment des gosses, on avait encore nos dents d'lait tellement on était des ptites, par rapport à d'autres. Au lieu d'tout ça, on traquait un gars dans les couloirs du lycée en gloussant nerveusement parce qu'on sentait bien que c'était nul, mais quoi, il me plaisait, pis jamais j'aurai pu aller lui causer simplement, comme on fait maintenant, hop coup d'oeil, hop sourire discret hop j'me lève avec un air qui dit si t'es ok tu peux m'rejoindre je serais au bar tu viens-tu ? (En vrai c'est pas comme ça non plus maintenant mais bon.)
Tout ça, les bières gratos, les mecs plus âgés, la chourave dans les magasins cheap pis les joints, c'est venu bien après.

Avec ma copine on avait un gros avantage dans notre amitié de filles, c'est qu'on avait vraiment pas les mêmes goûts. Elle trouvait que ce gars avait l'air paumé et indolent – et c'était précisément ce que j'aimais. On savait par avance qu'untel lui plairait à elle pis qu'à moi ça serait un autre. Y a des amitiés d'filles où tout finit par s'emmêler parce qu'on s'aime tellement, on se sent tellement jumelles qu'on finit par s'mélanger les goûts. Nous nan. On était jour et nuit, on était les Telma et Louise modernes, version soirée pyj et jus d'orange.
Mais les gars tu sais c'est pas toujours futé, et y'en a même eu pour se tromper de coeur, pour être séduits par elle quand c'était moi qui rêvait d'eux le soir dans mon lit superposé d'gamine qu'a vite vite grandi, ou des fois l'inverse, mais c'était plutôt rare. Globalement les gars s'trompaient vachement plus dans l'sens elle plutôt que moi, peut-être que je les choisissais mal finalement, ou bien c'était mon air nigaud de fille pas aisée qui sait pas quoi faire d'elle et d'ses longs bras. J'ai jamais eu l'air trop fin en société, surtout si y a un gars qui m'plaît dans l'assemblée. Notamment à cet âge là.

Pour finir ce gars-là dont j'parle, on a été copains quelques temps plus tard, on avait des amis communs et j'crois qu'il a jamais su que je l'épiais dans les couloirs. Mon honneur était sauf. Un jour il a fait une ruse de gars d'la lune qui sait séduire les filles et y m'a embrassée, je m'souviens comment l'air était moite, dans la chambre sombre d'la copine commune, avec les autres dans l'salon pis nous, les bouches collées sur le matelas par terre, nos mains qui savaient pas quoi faire pis qui s'étaient mêlées. J'crois bien qu'au fond on devait avoir l'air de deux grandes nouilles masculin-féminin, mais ça sonnait les trompettes de Jéricho dans ma tête, la revanche et ce moment où tu commences à te dire que t'as p't-être quelque chose qui peut plaire aux autres finalement -je veux dire, ces autres qui ne sont ni ta mère ni ton chien ni ta meilleure copine.

Une dizaine de jours et beaucoup de roulages de pelles intensifs plus tard, j'me croyais la reine du monde. J'allais le retrouver chez lui, on parlait de la guerre et des Etats-Unis, on détestait les deux en mangeant des cacahuètes, il buvait de la bière, moi je savais pas ce que je buvais, j'aurai bien voulu un verre d'eau mais j'osais pas l'dire, alors j'étais ok pour une bière.
J'allais le retrouver dans des parcs, on se tenait pas par la main, on trouvait que ça craignait, on se frôlait la peau des bras pis on s'allongeait dans des coins secrets pour s'embrasser tranquilles.
J'allais voir ses expos parce que oui il faisait des expos de peinture quand on était ados - tu vois bien que j'étais obligée d'être une groupie. Là je l'écoutais raconter pourquoi il avait mis telle couleur, pourquoi il utilisait pas d'pinceau et comment le monde était trop réactionnaire ces temps-ci, et les gens autour hochaient vaguement la tête et moi j'me sentais fière.
Tout ça, ça paraît durer une année mais en vrai ça faisait pas long qu'on était ensemble, quand un jour il est venu vers moi avec un air sombre mais digne, genre d'air où tu sais que ça sent pas bon avant même qu'il ait ouvert la bouche. Et bien sûr il a dit qu'y fallait qu'on parle exactement comme dans les films, et on s'est assis dans l'herbe, et il a dit qu'on était pas compatibles finalement.

D'une j'ai jamais compris pourquoi on dit aux gens amoureux « il faut qu'on parle »; c'est cruel vu qu'en fait y a zéro discussion, y a juste l'un qui enfouit à mains nues le coeur de l'autre dans un grand torrent d'eau glacée. Y mettre les formes changera jamais rien, c'est même pire. Donc steuple la prochaine fois que tu largues quelqu'un fait le avec du sang et des larmes, et pas des gants de chirurgiens. C'est plus crédible et moins mesquin.
De deux j'ai pas compris non plus l'histoire de la compatibilité dans les affaires de gars. Ça doit pourtant être important vu que maintenant les sites de rencontres misent clairement là-dessus. Peut-être il faut remplir un certain nombre de critères pour se faire aimer correctement ? Peut-être il faut pouvoir cocher les cases comme dans les feuilles d'la sécu ? Genre: grande, mange essentiellement des nems et des radis, passion obsessionnelle pour la littérature, air nigaud mais gentille, es-tu ok? J'sais pas.
Quoiqu'il en soit ce jour-là où ma revanche sur ma vie clandestine de groupie a pris fin, j'suis retournée dans le clan des filles qui s'sentent nouilles avec les gars, mais j'ai plus jamais voulu suivre ce type dans un couloir. J'crois bien qu'au fond, y m'avait surtout râpé le dessus du coeur, genre de cicatrice d'amour-propre qui fait d'avantage de bien que de mal, et depuis lui, j'ai jeté ma vie de groupie dans la poubelle magique des amours déçus.
Un coup d'broyeur et on en parle plus. 




 

dimanche 2 février 2014

Un bébi







Y a un moment dans la vie où on fait beaucoup moins de choses pour la première fois, où les premières expériences se font plus rares, plus d'premier baiser, de premier amour, de première main là, là où c'est doux, de première rupture, premier voyage, premier avion, première voiture, premier boulot, premier deuxième grand amour...
J'en étais rendue là quand y m'est arrivé quequ'chose de vraiment neuf, d'inédit, de jamais vu sur terre ou presque, en tout cas dans ma galaxie corporelle. Truc qui m'a rendu toute chose, qui m'a bouleversé les projets de vie, qu'a changé ma conduite habituelle et le temps bien organisé.
Voilà.
Je sais pas pour où commencer le premier texte avec toi dans mon ventre.
C'est un drôle de truc de savoir qu'il va y avoir un avant et un après, mais que l'après, on n'est pas encore vraiment dedans. On est entre les deux, parce que c'est là, et pas là en même temps, vivant et pas visible, ou juste à peine, dans l'arrondi qui pointe au-dessus du sexe, là, perché dans mon ventre -on dit le ventre, mais le ventre ça veut rien dire, le ventre c'est tout à la fois l'estomac, l'intestin, le colon, le foie, le pancréas, l'utérus. Et bien sûr c'est pas dans mon foie. C'est là, dans mon ventrutérus, et ça donne déjà une forme vraiment bizarre à mon corps, si tu veux mon avis.

Je dis « ça » à cause de la pudeur, à cause de comment nommer quelque chose d'aussi complexe qu'un bébi qui se construit dans l'utérus, qui se construit de manière automne quoiqu'on en dise, parce que franchement ça paraît pas être moi qui fabrique des mains et des fémurs de bébi, je sais pas faire ça, la preuve c'est que j'ai zéro diplôme en maçonnerie d'enfant. Zéro diplôme et pas d'expérience non plus. Genre première vraie fois. Qui fait peur.
Je dis « ça » mais je sens bien que c'est vivant à cause des changements dans mon corps, dans ma tête, je sens que ça agit, que ça vit dans moi, que ça m'impacte déjà.
Je lui parle même des fois. Avec les mains sur le ventre, comme dans les mauvais films, et sûrement un demi-sourire niais sur ma face.
Je lui dis des mots d'prudence, des va pas trop vite (des mots secrets des fois). Parce qu'y faut que je m'habitue tu vois, j'ai besoin de temps pour le faire grandir dans ma tête, qu'il passe du stade de p'tit bout de cellules démultipliées à foetus pis à bébi. Un bébi rouge et fripé qui grandira en-dedans, avec ses pieds et ses pouces et une paire de fesses. Vrai bébi de première fois quoi.

Je sais pas pour où commencer le premier texte avec toi, d'ailleurs je sais pas par où commencer la nouvelle vie en général, et j'ai des airs de toupie sans boussole à vouloir tout révolutionner et tout parfaire partout autour de moi, pour que tu sois bien. Je m'sens comme si j'allais faire un thé pour Giono ou Calvino, ou préparer des crêpes à Roald Dhal, j'ai l'impression que je vais avoir Zeus ou Râ dans ma maison, pas pour un jour ou deux, pour la vie entière.
J'voudrais bien l'avoir le kit « vie parfaite pour enfant heureux », j'espère qu'ils l'offrent à la première échographie, sinon si quelqu'un connait l'adresse y peut-tu m'la donner s'il te plaît avec un grand P?
Parce que ma vie juste là, elle ressemble pas trop à ce qu'y montrent dans les magazines pour enfants cool, comme Milk ou Doolittle, ma vie elle est pas comme sur les blogs de filles créatives qui font des guirlandes et des cheesecake elles-même et qu'ont l'air d'avoir zéro complexe dans leurs dix doigts. J'ai l'impression qu'elle assure pas un gramme de cachou ma vie et qui faut tout retapisser en pastel et confettis - même si à moi ça m'va plutôt bien juste comme c'est là, mais le truc c'est qu'y s'agit pas d'moi, mais de toi maintenant, et que tu sois bien.
Et quand je pense à tout ça c'est tellement l'angoisse que j'ai envie de m'blottir n'importe où dans un coin, même dans le panier du chien qu'est pourtant tout crotté d'boue à cause d'la pluie.

Et je crois que ce qui m'angoisse le plus c'est même pas ça. C'est ce traumatisme du bébi qui braille comme une souffrance atroce, quand tu peux tout essayer, le secouer, lui chanter des chansons débiles, le faire tourner dans les airs, faire des pets d'bouche ridicules, rien, rien qui marche. Juste il crie.
Alors arrive la mère, auréolée de sourire et de vêtements conforts-pratiques, avec cet air fatigué mais rayonnant, qui soulève l'enfant pour l'amener contre son cœur de mère et l'enfant se calme INSTANTANEMENT. J'ai longtemps regardé des mères faire ça. Et je m'dis aujourd'hui que c'est moi qui vais lever un bébi au bout de mes bras pour le prendre contre mon cœur et qu'il va instantanément arrêter de pleurer. Ou peut-être pas tu sais. J'admets que j'ai du mal à y croire. J'ai des fois peur que le miracle se produise pas.
Alors steupl, je te le demande comme une mère à son enfant, vu que c'est ce qui va nous arriver je te préviens, vu que oui, tu vas devenir un enfant, et oui, je vais devenir une mère, steupl, va pas trop vite. Fais pas la course avec le temps, parce que moi, j'ai besoin de m'habituer à être celle qui va soulager tes crises-passion avec un seul regard. Et que ça me semble pas si naturel d'avoir ce pouvoir sur quelqu'un, sur un minuscule bébi mystérieux qu'aura des airs de nous mais avec des pensées secrètes. Ça me semble pas si naturel non plus d'avoir un deuxième cœur et un deuxième cerveau qui grandissent dans moi. Et encore moins naturel que quelqu'un sorte de mon corps. Même un p'tit bout choupi que je vais aimer plus fort que la terre et les montagnes et les crêpes.

Et en même temps tu vois, le paradoxe c'est que j'ai hâte aussi. J'ai hâte d'entendre que tu vas bien, que t'es à la bonne place, que t'as tout ce qu'y te faut. Y m'tarde de te voir minusse chose humaine à l'intérieur de moi, genre de magie vraiment surnaturelle.
Et je m'fais un soucis pas possible à me demander si la moindre sensation veut dire ok tout baigne ou attention ça craint. Je veux déjà prendre soin d'toi, tu vois. J'ai déjà de l'inquiétude pour toi, et beaucoup d'amour, même avec toutes les peurs que tu flanques dans ce ventre qu'est comme ta première maison secrète où je peux pas te toucher ni te prendre contre moi. C'est que j'en ai djà envie de ça, comme un besoin intarissable qui s'arrêtera jamais. J'ai djà envie de te raconter des histoires vraiment de taupes et d'étoiles filantes, auxquelles je croirais juste pour que t'y crois toi aussi. J'ai djà envie que t'aies la couronne à la galette des rois, plutôt que moi, vraie preuve d'amour absolu de toutes les mères du monde, je pense.

Tout ça pour dire, bébi qui pousse en d'dans, que toute la peur de pas y arriver elle est force pipi d'chat à côté d'la joie, et que tous les gerbi du monde et toutes les 12h de sommeil par jour que tu m'infliges et tous les caprices que tu m'fais déjà (comment ça j'aime pu les pâtes???), bah tout ça c'est rien rien rien : j'ai d'la force pour toi pour des millénaires à venir, alors fais gaffe à ta ptite goule.


?

dimanche 12 janvier 2014

La météo des sentiments


Texte publié sur le site du magazine Paulette ici.

 

Y'avait Noël avec un beau sapin et une mer de cadeaux brillants dessous, empaquetés avec soin, rutilants, des gros, des p'tits, des moyens, des longs, des carrés, des ronds et même des plats, tout j'te dis.
Y'avait nous, avec nos beaux habits du dimanche, nos airs heureux, un sourire vissé soul'bas du visage, sourire qui reste toute la soirée même quand on mange les marrons trop cuits pis la dinde un peu sèche, mais faut pas l'dire, faut dire que tout est très bon, avec un grand sourire vissé.
Y'a la table géante au milieu d'la pièce trop petite pour nous tous, et on rentre les ventres et on sert les fesses et on rabat les chaises pour aller aux water, j'aime autant te dire qu'on peut pas faire ça discretos ces soirs-là.
Y'avait les messes basses de famille qu'on dit pas, auxquelles on veut pas penser pour Noël, on y pense quand même mais le sourire ça marche hyper bien comme méthode coué. Alors on en parle pas, on les garde pour après, dans la voiture, quand on débrif la soirée. Tranquille entre nous, on desserre les ventres et les sourires se décomposent par morceaux en même temps qu'on voit passer les lumières accrochées un peu partout, et déjà ya des gens qui balancent leur sapin dans la rue, leur sapin déshabillé de ses belles guirlandes. Ça m'a toujours rendu vachement mélancolique les sapins d'après Noël et c'est pour ça que j'en veux pas, jamais, ce en quoi on est assez d'accord lui et moi, et ça ça m'fait plaisir.

Globalement on est assez d'accord sur tout t'façons, sauf sur le coup des plantes dans la maison, lui il aime pas, ou disons une ça passe, mais pas plein, ou sur l'affaire des lapins que j'ai déjà évoqué ici, je vais pas recommencer, mais juste pour faire les comptes: les plantes je gagne, les lapins je perds.

Mais je dois dire que ces jours-ci, malgré Noël, malgré avoir revu des vieux amis que j'aime d'amour, malgré toutes les bonnes nouvelles qui s'annoncent pour une nouvelle année au top, j'avais pas l'humeur en phase.
On a des fois des jours sombres sans savoir pourquoi, des jours où on veut rester au lit, sous la couette, avec rien d'autres que son oreiller fétiche et des bédées pis des livres et de la musique mélancolique, tu vois bien quel genre de jours j'veux dire.
Les jours où même si le soleil brille dehors, tu veux traîner en pyj avec des chaussettes dépareillées et pas d'coiffure, les jours où t'avales le ptit dèj du bout de la lip sans aimer le café ni trouver suprême l'odeur du pain grillé. Ce genre de jour où tu regardes les gens que t'aime avec un oeil vide et tu te dis Pfff, tu te dis Mouais, tu te dis Bof. Alors que tu sais que tu les aimes. Pour de vrai.
Ça faisait plusieurs jours que j'étais d'une humeur bougon, et que j'faisais faire les montagnes russes des sentiments à mon a., çuilà qu'a sa majuscule dorée en début de nom, çuilà qu'a les réserves d'amour pour toute la vie jusqu'à des siècles futurs où les ipad feront micro-ondes, çuilà qui sait m'flanquer des sourires dans les veines même quand j'ai une tête des six pieds de longs et un regard nuageux, tout ça.
J'sais pas si y voyait trop mes humeurs maussades tellement il a le bonheur vissé au corps çuilà, mais je te jure que je voulais parfois me battre de pas lui montrer plus les grands sentiments que je ressentais, même avec mon mauvais karma de ces jours-ci.
Et puis tu sais, j'avais franchement aucune raison d'être triste.

Pour me changer les idées, je repensais à des choses belles, mais ça changeait pas grand chose en vrai, je sais pas pourquoi. J'avais besoin sans doute d'un grand coup d'frais, d'un grand coup d'neuf, sauf que je l'avais déjà eu mon grand bol d'air et que j'en voulais encore. Alors quoi ?
Chais pas.

Y a des fois t'expliques pas, tu subis une humeur qu'a zéro raison d'être, qu'a zéro racine à arracher dans ton coeur, qu'est venue là comme un nuage devant l'soleil des jours tranquilles, et tu peux seulement attendre l'éclaircie en te disant Bordel j'ai pourtant tous les meilleurs trésors du monde alors quoi ?
Bah rien.
La météo des sentiments ça s'commande pas on t'l'a déjà dit.