Liste
(non-exhaustive) de choses remarquables la nuit au début de l'été
Remarqué
: On habite une ville qu'a des pavés qui sentent bon la nuit -j'ai
remarqué ça.
J'ai
remarqué aussi le velours de l'herbe quand nos pieds s'enfoncent
dedans. (L'herbe est moelleuse et douce.)
J'ai
remarqué que les gens se déplacent d'une manière spéciale
ensemble, ça révèle une philosophie de la vie : aller droit au but
en silence OU avancer en s'arrêtant à chaque coin de rue pour
tchatcher.
J'ai
remarqué que j'aimais causer de nos secrets sur un coin de trottoir,
entre deux crottes de chiens, avec un certain gars.
Y
a le frémissement de la nuit qui se déplie,
et
on est là. Où qu'on soit on est là.
J'ai
vu aussi qu'y faut beaucoup observer les gens avant de les rencontrer
pour de vrai.
Faut
guetter patiemment le moment du regard juste, du mot juste, et dans
cette attente, on goûte la nuit.
Remarque
: Faut danser (si possible) et quand on danse c'est toujours
la même histoire, le même battement de coeur, la même paupière
qui s'ouvre et se ferme : on a le corps multiple et sous nos peaux
les limites qui nous endiguent explosent.
-
remarquer – sous la peau la peau la peau-
la
peau quand on danse à rien à voir avec le reste du temps.
Exactement comme quand on baise/nique/fourre/fait l'amour/se pénètre/
rayer les mentions inexactes.
Remarquer
: Des fois on se fait inviter par des types qui ont l'air amoureux,
et qui doutent de leur beauté. Ils tiennent nos mains timidement,
ils ont peur du rythme, ils savent pas qu'ils sont les plus puissants
amoureux de la terre. Ils nous font nous sentir fortes comme des
montagnes, mais je sais pas pourquoi c'est si triste : on repart
rarement avec eux. On préfère, en général, ceux qui nous font
nous sentir pas sécures, ceux qui nous font douter de nous, ceux qui
nous font nous demander si on n'a pas les mains trop moites et les
aisselles qui sentent. Et on s'invente des stratagèmes pour épater
ce garçon-là, qui nous regarde pas, pendant que le danseur timide
nous donne tout ce qu'il a. Y a des fois des gens incertains, flous,
transparents, qu'ont pas l'habitude qu'on les écoute ni qu'on leur
accorde de l'importance; Ils ont l'air faits dans du verre fragile.
Ils ont souvent de belles vérités. Mais les gens malheureux
n'attirent pas le bonheur. Est-ce que certains chercheurs se penchent
sur ce problème existentiel de l'humanité ?
Mini-drames invisibles et bêtes des soirées dansantes.
Mini-drames invisibles et bêtes des soirées dansantes.
Remarquer
: Les clochards.
J'ai
des fois envie de caresser les hommes ivres et solitaires -qui sont
parfois des femmes- qui arpentent la place et qui parlent seuls. Ils
ont le regard halluciné. J'voudrais peindre leurs corps en doré, et
marcher fièrement auprès d'eux, en disant au monde, regardez tous
cette belle créature humaine. Mais non, ils ont des gros blousons
dans le mois d'août, ils sont saoules et ne voient pas quand on les
aime, ou bien par bribes, par hoquets, par erreur.
Remarqué
ce type quand je l'ai rencontré après avoir dormi chez lui
des mois auparavant -il était pas là. Voir les murs, les plafonds,
le plancher d'un nouvel oeil. Poser un visage sur l'évier, sur le
canapé, sur les fenêtres. Un beau gars en papier glacé, fin prêt
pour une pub à paraître dans Grazzia. Et toutes les filles qui
doivent tomber comme des petits pains dans ses bras chauds. Sa face
était lisse quand y souriait pas. Le genre de type dont on peut
tomber facilement amoureuse -quand on a 17 ans. Une chose encore que
je sais pas, c'est pourquoi ce qui sonne creux sonne meilleur que ce
qui sonne plein, souvent ?
Remarquer
sur le dancefloor : Y avait pas d'boule à facettes, c'étaient
les autres gens les facettes. J'ai croisé un type qu'avait un tatoo
malabar sur le front, il était vraiment beau avec sa tête d'enfant.
Il était du gang des fragiles à l'hélium, mais le tatoo l'avait
rendu téméraire. Un genre de kamikaze de la timidité.
Remarquer
: à force de suer comme des dingues sur la piste de danse, y a ce
moment où y faut de l'eau. De l' E A U. Alors on se fraye un chemin
jusqu'à l'évier, on trouve le dernier gobelet en plastique propre
au milieu des montagnes de mégots, de canettes, de restes de pizza
et de gobelets sales, et on tangue (souvent on tangue) jusqu'à
l'évier. Faut connaître ce bruit-là de l'eau quand elle sort du
robinet et s'écrase contre le gobelet tendu, en pleine nuit, quand
on a picolé. On dirait qu'on pourrait boire des heures, ça serait
toujours aussi pur dans notre gorge. On se sent comme une plante
sèche qui gonfle ses racines, on se sent les feuilles qui poussent,
là, au milieu de la cuisine dégueulasse, le sol collant d'alcool,
la musique de la pièce à côté qui saoule nos oreilles. Genre
d'extase pas nommable avec ce qu'y a de plus sain sur la terre.
Remarquer
la première touche de bleu dans le ciel et sentir encore ce besoin
de saisir le monde : dormir ce s'ra pour quand on s'ra mort. Dehors y
a le jour qui se lève. Des pigeons s'ébrouent à droite à gauche.
Les travailleurs matinaux sont déjà là. Les éboueurs sont déjà
là, les balayeurs de trottoirs en habits fluo avec leurs balais, les
dernières cigarettes, les dernières notes de musique échappées
d'une fenêtre -les voisins râlent, ils menacent.
Les cafés sont déjà ouverts, et les boulangeries, - et on n'a pas dormi.
Les cafés sont déjà ouverts, et les boulangeries, - et on n'a pas dormi.
Remarquer
(essayer de) : Un homme hagard rassemble ses sacs et son
caddy. Où il va ? On ne sait pas, on ne se pose plus la question. On
ne le remarque plus. Il traîne des pieds dans la ville tout le jour,
il parle aux trottoirs et plus personne ne le voit.
Remarquer,
nuit blanche comme des dieux, au petit matin, redevenir des hommes
(minuscules).
Montage personnel