dimanche 4 août 2013

Le grand froid I





C'était dimanche avec la canicule
il faisait sombre et chaud dans la chambre
les moustiques de la nuit
plaqués comme des monstres sur la moustiquaire
guettaient notre réveil
le ronronron monotone du ventilateur dans le noir avant le jour
dimanche une nuit sans lune à l'horizon
on avait mal dormi toi et moi
au petit jour on ouvre les yeux
après avoir un peu, trop, beaucoup bu
quand on s'est retrouvé
tu étais tout froid - mais tellement
ça commence toujours comme ça
je me dis toujours des mots d'explication
que t'as juste chaud
que t'es juste fatigué
que t'as seulement pas envie -de nous, collés
et que dans une heure grand max
ça ira mieux
ça commence toujours comme ça, par des pensées
que j'essaye d'endiguer
mes craintes de grande nouille inquiète
dont je veux pas, je me dis
Arrête de t'inquiéter, y'a rien,
c'est juste pas le moment voilà.
Ça commence souvent par ton regard qui se tourne plus jamais vers moi
quand je remue
quand je murmure
que je soupire.
Y a des codes secrets entre les amoureux pour dire Regarde-moi
on bouge le drap d'une façon et on souffle
avec un air précis, sans le savoir
ça se fait machinalement, mais comme des machines amoureuses
c'est rare qu'on réagisse pas à ce genre de soupirs, ce genre de mouvement
quand on s'aime pour de bon.

Ce jour-là tu réagissais pas
et au début j'ai pas vu
on remarque pas tout de suite
quand ça dysfonctionne
quand la machine est rouillée.
Mais quand même, ton absence de regard
très vite m'a pesé sur le cœur,
comme un petit pois de plomb posé juste-là, on le sent, il appuie, on se dit
Ça va grossir ou pas, ça va devenir pire, ou fondre ?
Je crois que les amoureux font ça, qu'ils s'angoissent
pour des absences de regard.
Moi je fais ça.
Pour être sûre, je me rapproche de toi, avec mes bras de lion
j'ai de la lenteur dedans, je me penche sur ton corps-étang
pour assister au lever de soleil de tes yeux
pour voir ta main se déplacer lentement jusqu'à ma peau
et tes lèvres s'étirer comme tous les matins du monde
quand tu me sens près de toi.
Des bouts de lumière passent entre les volets
foisonnent sur ta peau -des images
ombres et dorées
j'en ai envie très fort, de ton regard sur moi
que tu m'enserres le corps ferme et doux dans le lit
au moins avec tes yeux, au moins
j'en ai presque besoin
pour fondre le goût du plomb dans ma gorge
et revenir à la canicule
juste normale
avec notre amour chaud
entre les cuisses et les oreillers.

Je m'suis rapprochée doucement
mais t'as eu zéro réaction
t'as pas dit pas un mot de réponse à mes signaux dans le noir
je sentais que ça se rétractait dans ton corps, même si tu bougeais pas
on sent ce genre de chose
quand toi aussi t'as du plomb dedans, de la pierre dedans, du vide dedans
t'as l'amour qui se recroqueville
et tu me barricades dehors
ça peut des fois durer une minute, c'est long déjà
une minute près d'un corps vide et froid
et solitaire
dans le giron d'la chambre -ronronron ventilo
c'est dur déjà
Mais allez quoi !, -je dis, je me secoue
je te connais
tu as des fois besoin de solitude aussi
tu as tes mystères et tes distances
et tes rêves secrets et je peux pas
me glisser partout dedans toi, comme une eau sinueuse
te prendre tout entier dans tes moindres recoins
je peux pas
tu as ta part lointaine
je dois m'y faire - au moins une minute, allez.

Ragaillardie
le petit pois pèse un peu moins sur moi.
Je m'éloigne de toi, quelques centimètres, c'est déjà beaucoup
je reprends ma place avec une petite distance,
j'm'occupe plus d'toi -je me dis, je te laisse à tes mystères
qui t'éloignent de moi -mais
reviens vite quand même
embrasser l'intérieur de ma peau
fourrer tes doigts dans mes cheveux
et puis poser ta tête sur mes côtes-prison-du-cœur
ouais,
reviens quand même vite
steuple.