C'était
dimanche avec la canicule
il
faisait sombre et chaud dans la chambre
les
moustiques de la nuit
plaqués
comme des monstres sur la moustiquaire
guettaient
notre réveil
le
ronronron monotone du ventilateur dans le noir avant le jour
dimanche
une nuit sans lune à l'horizon
on
avait mal dormi toi et moi
au
petit jour on ouvre les yeux
après
avoir un peu, trop, beaucoup bu
quand
on s'est retrouvé
tu
étais tout froid - mais tellement
ça
commence toujours comme ça
je
me dis toujours des mots d'explication
que
t'as juste chaud
que
t'es juste fatigué
que
t'as seulement pas envie -de nous, collés
et
que dans une heure grand max
ça
ira mieux
ça
commence toujours comme ça, par des pensées
que
j'essaye d'endiguer
mes
craintes de grande nouille inquiète
dont
je veux pas, je me dis
Arrête
de t'inquiéter, y'a rien,
c'est
juste pas le moment voilà.
Ça
commence souvent par ton regard qui se tourne plus jamais vers moi
quand
je remue
quand
je murmure
que
je soupire.
Y
a des codes secrets entre les amoureux pour dire Regarde-moi
on
bouge le drap d'une façon et on souffle
avec
un air précis, sans le savoir
ça
se fait machinalement, mais comme des machines amoureuses
c'est
rare qu'on réagisse pas à ce genre de soupirs, ce genre de
mouvement
quand
on s'aime pour de bon.
Ce
jour-là tu réagissais pas
et
au début j'ai pas vu
on
remarque pas tout de suite
quand
ça dysfonctionne
quand
la machine est rouillée.
Mais
quand même, ton absence de regard
très
vite m'a pesé sur le cœur,
comme
un petit pois de plomb posé juste-là, on le sent, il appuie, on se
dit
Ça
va grossir ou pas, ça va devenir pire, ou fondre ?
Je
crois que les amoureux font ça, qu'ils s'angoissent
pour
des absences de regard.
Moi
je fais ça.
Pour
être sûre, je me rapproche de toi, avec mes bras de lion
j'ai
de la lenteur dedans, je me penche sur ton corps-étang
pour
assister au lever de soleil de tes yeux
pour
voir ta main se déplacer lentement jusqu'à ma peau
et
tes lèvres s'étirer comme tous les matins du monde
quand
tu me sens près de toi.
Des
bouts de lumière passent entre les volets
foisonnent
sur ta peau -des images
ombres
et dorées
j'en
ai envie très fort, de ton regard sur moi
que
tu m'enserres le corps ferme et doux dans le lit
au
moins avec tes yeux, au moins
j'en
ai presque besoin
pour
fondre le goût du plomb dans ma gorge
et
revenir à la canicule
juste
normale
avec
notre amour chaud
entre
les cuisses et les oreillers.
Je
m'suis rapprochée doucement
mais
t'as eu zéro réaction
t'as
pas dit pas un mot de réponse à mes signaux dans le noir
je
sentais que ça se rétractait dans ton corps, même si tu bougeais
pas
on
sent ce genre de chose
quand
toi aussi t'as du plomb dedans, de la pierre dedans, du vide dedans
t'as
l'amour qui se recroqueville
et
tu me barricades dehors
ça
peut des fois durer une minute, c'est long déjà
une
minute près d'un corps vide et froid
et
solitaire
dans
le giron d'la chambre -ronronron ventilo
c'est
dur déjà
Mais
allez quoi !, -je dis, je me secoue
je
te connais
tu
as des fois besoin de solitude aussi
tu
as tes mystères et tes distances
et
tes rêves secrets et je peux pas
me
glisser partout dedans toi, comme une eau sinueuse
te
prendre tout entier dans tes moindres recoins
je
peux pas
tu
as ta part lointaine
je
dois m'y faire - au moins une minute, allez.
Ragaillardie
le petit pois pèse un peu moins sur moi.
le petit pois pèse un peu moins sur moi.
Je
m'éloigne de toi, quelques centimètres, c'est déjà beaucoup
je
reprends ma place avec une petite distance,
j'm'occupe
plus d'toi -je me dis, je te laisse à tes mystères
qui
t'éloignent de moi -mais
reviens
vite quand même
embrasser
l'intérieur de ma peau
fourrer
tes doigts dans mes cheveux
et
puis poser ta tête sur mes côtes-prison-du-cœur
ouais,
reviens
quand même vite
steuple.