mercredi 19 juin 2013

J'ai les g'noux qui collent




Anna Morisini



J'ai les genoux qui collent
et des yeux qui piquent comme brûlés
c'est l'été, mets tes lunettes noires
pour chausser la fraîcheur
sur tes yeux
c'est l'été faut pas s'embrasser sinon on jute
sauf de loin ça on peut.
Y'a tout qui ruisselle de soleil le ciel est jaune
qui éclabousse nos yeux brûlés
y'a tout qui brûle, les herbes les arbres les bêtes
elles se couchent dans les ombres
haletantes
pantelantes
elles ont les yeux qu'implorent et qui se ferment doucement
- c'est la folie chez les mouches.
Y'a tout qui colle
la peau des cuisses
la plante des pieds sur le carrelage
faut surtout pas monter dans les voitures
sinon tu brûles
la ceinture colle ta peau pas cachée du torse
au-dessus des seins presque pas cachés
sous les tee-shirts qui couvrent pas trop-trop: c'est l'été.

Y fait trop chaud pour se caresser les corps
on est comme las, languissants
on veut se saouler de jus d'fruits froids
on veut tout froid
on se touche pas de tout le jour
avec nos corps presque-pas-d'habits
dans la maison
derrière les volets mis en cabane
je vois ta peau un peu mouillée
toute nue, ta peau
le soir on devient fou
dès qu'y fait frais
on se jette l'un sur l'autre
avec des frémissements affamés
on s'empoigne se chevauche se mélange
on se mange les peaux salées de la journée
pis sous la douche -les deux
avec les cheveux qui coulent froids sur la nuque et le dos.

C'était le temps où on faisait des cartons
on empilait dans des caisses et des sacs et du papier kraft épais
on empilait nos vies là-dedans, tout bien plié rangé dans l'ordre
c'est dur les cartons l'été
faut du courage pour faire et défaire des piles de vie.
Tu faisais tout avec énergie
moi j'en avais zéro même pas une lichette j'te dis, quasi rien
je restais étalée sur le lit
avec des regards pour toi qu'agite toutes les choses de not' maison
j'me sentais bousculée
mais c'était bien.
J'avais encore du mal avec ça
même si j'étais contente.

J'avais du mal à cause des autistes
y m'avaient comme fendillé le cœur avec mille radicelles et des lianes autour des chevilles
pour me retenir auprès d'eux.
Ça m'faisait des larmes là, dans les yeux côté coeur
quand j'y pensais
alors j'essayais de pas trop penser.
J'essayais -à la place- de tout bien expliquer à celle qu'allait me remplacer auprès d'eux
elle voyait bien que j'avais la marée montante jusqu'aux fenêtres
elle disait rien sur ça
elle avait une lumière dans les yeux que j'trouvais rassurante -pour les autistes.
C'était pas facile de lui expliquer
en 6 heures toute la vie depuis 2 ans et demi avec eux
j'avais la voix qu'allait trop vite pour tout dire d'un coup, pour rien oublier
pour qu'elle ait tout dans la tête même si elle capte pas tout tout d'suite
Je voulais la rendre forte
avec mes mots
qu'elle soit toute gonflée de mes 2 ans et demi
je voulais tout lui verser dans l'âme -ce qu'elle pourrait prendre.

Pendant ce temps tu continuais de découdre la maison avec notre vie dedans.
On s'chicanait pour savoir qui c'est qui met le plus de bazar dans les coins
t'étais bien arrogant pour dire que c'était moi et à l'aise encore.
Tu faisais des listes
(exagérées)
de tout ce que je laisse traîner
et j'admets ici -chose que je dirais jamais devant toi
que t'avais pas toujours tort.
Y'avait, c'est vrai, des tasses pis des p'tites cuillères pis des papiers pis des stylos pis du bric à brac pis des fringues pis des livres en PAGAILLE
chaque fois que tu soulèves un truc chez moi y'a un autre truc en dessous, c'est la vie.
J'sais pas ranger sauf chez les autres.
Chez les autres j'fais toujours tout prop' et bien plié.

T'avais la vie dure pour faire les cartons avec c'bazar
tu m'faisais quand même des surprises de Noël en juin-soleil-chaud
avec des tas d'habits pliés et rangés sur le lit
que j'avais pu qu'à mettre dans les cartons
des petites piles pleines de couleurs textiles, même les culottes
tu trouvais une place spéciale pour elles
t'étais comme au top du pliage de dessous
et j'avais pu qu'à les ranger quand je rentrais.

Le soir
y'a la nuit qui venait avec lenteur
par touches secrètes
par étapes, et discrète
et nous
avec nos bouches en ventouses légères
nos mains qui se charpentaient les peaux
pis nos jambes et nos bras et nos cuisses qui se caressaient
pis qui devenait dur
pis qui devenait mouillée.
On s'enroulait des lianes solides, vertes et jaunes
autour de nos ventres ondulants

j'avais les cheveux qui collaient à tes cuisses
quand j'me penchais sur toi
c'est l'été. 





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