dimanche 11 août 2013

Le grand froid II

Le grand froid I


A partir de là je t'attends
je te guette de près, de loin
je surveille tes mouvements
tes paroles, tes regards et tes gestes, j'attends le signe
de ton retour.
T'as l'air de quelqu'un qu'a pas besoin de m'avoir tout près
et ça charpie-syncope mon rythme cardiaque
j'ai, à la place, des pulsations sanguines, un grand silence, du vide
et je tourne et vire dans la maison
je vaisselle, je lessive, j'étandage, je livre mais
toujours je me rapproche
et je repars – la crainte de t'encercler
comme un insecte qu'on chasse de la main
à l'heure du déjeuner.
J'voudrais pourtant pas rater le moment où tes yeux
et peut-être même ton sourire
à nouveau vers moi -vont revenir.
Tu restes immobile, même quand tu bouges,
et je,
de près,
de loin,
- un ballet misérable autour de toi
avec pieds et mains et corps inquiets.

Je récapitule à voix basse des listes de choses que j'ai faites
qui pourraient t'avoir déplu
je ressasse des défauts que t'aurais pas vu depuis tout ce temps
qui d'un coup t'auraient sauté aux yeux
je trace dans ma tête les dernières minutes avant le grand froid, les dernières heures.
Je pense à toutes les choses dans moi qui pourraient te faire me désaimer.

Parce que tu me désaimes c'est sûr
et j'essaye de réparer ça
j'essaye en te faisant des prévenances
et mes prévenances t'énervent -je sais
ça nous égratigne tous les deux, mes efforts
tu repousses mes minuscules assauts
avec des mots simples pour tout le monde
peut-être tu diras plus jamais des mots à nous
peut-être maintenant c'est comme ça
froid, pierraille et plomb
et moi comment je fais pour enlacer une pierre géante glacée dans mes bras ?
Comment je fais pour te caresser avec ma peau, ma langue, mes jambes, mes mains
et te laisser glisser dans moi
toutes les nuits du monde à venir.

J'fais des gros efforts pour que personne voit - la peur
personne, les amis, les gens dans la rue, la dame de la supérette
je souris mollement
j'plaque mes lèvres l'une contre l'autre pour pas parler
j'pose mes yeux dans l'herbe pour pas r'garder la face des gens
on m'a souvent dit que je sais pas cacher les choses, que mes yeux parlent pour moi.
C'est pour ça que j'regarde l'herbe.
T'façons tout l'monde me dirait qu'c'est pas grave
que ça va passer
qu'on va se rabibocher les corps.
Mais personne sait comment t'es vivant dedans
et comment j'vois quand tu fais des faux
des faux rires, des faux baisers, des faux regards, des fausses paroles
comme si t'avais quelqu'un d'autre dans l'corps.
Les autres autour continuent la vie normale
ils savent pas qu'un drame en plomb éclot dans ma poitrine
une solitude me remplit quand c'est comme ça
elle a des mains aimantées pour moi
elle m’agrippe, elle me tient contre elle
et je marche à ses côtés
avec l'herbe que je regarde d'une façon inouïe ces jours-là.

T'as besoin des fois de te défaire de moi en silence
et je m'protège comme j'peux tu sais
on se construit des barrages pour que l'extérieur ne nous envahisse pas
pis des écluses pour contenir nos prop' émotions.
Seulement face à toi j'ai pas grand chose, j'ai presque zéro arme et pas d'armure.
J'invente des trucs,
je sens comme ça t'énerve de m'avoir près d'toi
mais j'veux pas rater le moment où tu vas revenir
et si tu pars
si tu pars pour de bon j'veux dire
je dois fixer dans mon esprit l'image de toi qui t'en va
j'aurai besoin de ça, cette image
si ça devait durer pour toujours - le grand froid.

En attendant j'm'invente des armes
j'pense très fort à des femmes puissantes
j'ai dans mon esprit Frida, la liberté
des femmes qu'ont été des artistes, des amoureuses, des mères, des sœurs
j'y pense pour me sentir forte comme elles.
J'pense à des filles d'aujourd'hui que je connais
qui se laisseraient pas abattre pour si peu
si elles étaient moi, si j'étais elles.
Je pense à ce que j'vais écrire de tout ça
comment ça va devenir quelque chose de pt-être bien, de pt-être positif
quelque chose sur quoi j'ai du pouvoir
dans la pénombre ventilée de la chambre
quand j'écris.
J'm'en vais dans les rues avec une amie aussi
on va voir des femmes fortes, Louise Bourgeois, Camille Claudel, Kiki Smith
on marche, on s'harasse de chaleur, on r'garde des films qui font pleurer
ça m'fait des bonnes raisons au moins, de laisser couler la peine.
Faut dire, ces jours-là j'peux pleurer pour rien
j'ai un vieux paquet de tristesse qui m'remonte de très loin
tout m'attriste et me touche
les corrida m'font pleurer, les enfants malades, l'aéronautique, les vieux qui meurent, les hérissons en bord de route, les arbres abattus et même les choses heureuses.
Les cadeaux, les remerciements, les gestes d'amitié.
Tu m'hypèresensiblises.

Et puis des fois pour m'endurcir j'commence à imaginer ma vie sans toi
Hè, qui vivra verra, j'me dis avec de l'ambition dans la voix.

J'ai quand même qu'une envie c'est de me coller contre toi
même pas pour baiser d'amour, non
juste pour être collés les deux, toi pis moi
vertical horizontal

reviens reviens reviens

Et pis ça vient lentement le moment où tes coins de lèvres se redressent
où tes yeux reprennent la direction de mon visage
ça revient, comme un cadeau après une longue maladie
comme un soleil foudroyant
les choses reprennent leur place
le monde reprend sa marche normale – et moi la seule je vois ça.
Il faut beaucoup de mots après ça
des explications mélangées de silence
on s'agrippe l'un à l'autre dans le noir de la chambre, il est tard
j'suis épuisée de larmes mais j'veux creuser dans toi pour savoir
j'veux trouver l'glaçon originel.
Il faut aussi des mains qui se posent apaisantes sur les peaux.
On s'dit que ça va, qu'on est encore là les deux -sur le pic glacé qui fond lentement.

Et j'ose encore pas te dire tout ce que je viens d'écrire,
comment c'est la terreur pour moi dans ces moments-là.