dimanche 17 novembre 2013

Boï

Texte paru dans la Revue des 100 voix.


Bartabas




Boï était déjà un vieil homme quand je l'ai rencontré, un vieux gitan à la peau tannée, aux cheveux longs et noirs toujours attachés en queue de cheval qui retombait sur son dos, habillé le plus souvent en noir ou en blanc. Il tenait un théâtre équestre formé de plusieurs chevaux, un noir Diablo, un blanc Locko, et Toumaï, l'étalon fou qui tapait dans son box comme un forcené enchaîné.

Le campement se tenait au bord d'une route nationale. Des roulottes en bois, une yourte, une arène pour les chevaux, et les boxes. Pas une caravane. Boï était un gitan des temps anciens. Il racontait toujours un tas d'histoires, c'était difficile de démêler le vrai du faux, mais je l'aimais avec ses contradictions et ses principes de vieux qui a tout vu de la vie, et de la mort aussi.

Un jour il me demande : « Tu as confiance en moi, Fille ?
-Pourquoi Boï?, je réponds.
-Je veux que tu entres dans l'arène avec Toumaï, l'étalon sauvage. »
Boï m'avait vu roder autour des chevaux, et il aimait me faire aller dans l'arène avec Locko. Je montais debout sur son dos blanc, et ça rendait Boï heureux de me voir là, perchée sur son cheval, à faire mon numéro en rond sur la piste. Mais Toumaï c'était autre chose. Il avait de la fureur dans le regard.

« Tu as confiance en moi,?, il répète. »
Et bien sûr j'avais surtout zéro confiance en Toumaï, mais j'ai senti pousser dans mon ventre une fierté du fond des âges, vu que, moi aussi je viens de loin, d'une famille qui parle aux chevaux, et le sang de mes ancêtres a bouilli dedans moi.
« Je vais le faire, Boï, j'ai dit avec bravache. »

Il a rit et puis :
« Un jour quand j'étais encore un petit enfant, mon grand-père m'a fait monter dans un arbre, sur une branche haute, vachement haute pour mon âge. D'en bas, il m'a tendu les bras, et il m'a dit:
« Tu as confiance en moi, Fils?
- Oui, bien sûr Grand-Père.
- Alors saute! ».
    J'ai sauté. Mon grand-père s'est retiré et, une fois que j'étais par terre, écrasé au sol, il m'a dit:
    « Ne fais confiance à personne Fils, pas même à moi ».
    C'est la meilleure leçon de ma vie, Fille.»
Il s'est levé et, avec son sourire énigmatique il me dit encore: « Viens, dans l'arène maintenant ».

Et il a ouvert la porte du boxe en criant dans sa langue des mots secrets à son cheval qui se cabrait et fonçait droit sur moi, prisonnière du cirque de bois.