dimanche 5 mai 2013

Tu retrouvas ma robe un peu verdie



Il y avait un air humide et chaud autour de nous, on sentait l'herbe en sève et tu marchais en te pressant contre moi, la peau de nos bras se touchait, ça collait presque. L'air sentait le musc et le sucre des lavandes quand la tige durcit avant de faire sa fleur. Ça sentait l'humus aussi mais comme un arrière goût.
Nos pieds nus sur leurs tongs s'enfonçaient dans le vert moelleux de mai, c'était le début du mois avec des manifs, mais plutôt que d'arpenter les rues on s'enfuyait la nuit pour se baigner dans le lac. On avait pris ta voiture et tu conduisais, c'est toujours mieux comme ça, même si j'ai peur pour les oiseaux qui se jettent sous nos roues quand c'est toi au volant. (Je sais jamais si tu les vois jusqu'au dernier moment ça me coupe le souffle souvent.)

Finalement aucun accident ailé sur la route, tu t'es garé simplement sur le bas côté, tu voulais chourer un panneau de signalétique avec un train fumant dessus, tu prétendais pouvoir en faire une table basse pour poser les tasses de café ou les shot-verres ça paraissait une belle idée d'ameublement, je voulais voir ça vite mais pour l'instant tu préparais ton coup. J'avais plutôt confiance vu qu'on avait déjà piqué ensemble le panneau géant avec un lapin dessus pour l'offrir à une crémaillère bref, j'aimais vraiment bien l'idée.

On parlait de tout ça avant que tu coupes le moteur et le silence et la nuit tout à coup, quand t'as arrêté le moteur, ça nous avait gêné. On s'taisait avec des sourires en coin. Le bruit des portières était assourdi par le ciel noir quand on a refermé la voiture, on ne voyait pas d'étoiles on entendait à peine nos tongs qui claquaient sur le bitume et très vite c'était l'herbe de mai comme j'ai dit tout à l'heure.
Notre chienne sautait dans les buissons sans s'accrocher le pelage je me demandais comment elle faisait ça, moi je m'accroche les cheveux chaque fois, ça rend beaucoup moins gracieux dans la nature. Elle, furtive elle se faufilait, on s'inquiétait de plus la voir, sa blancheur fauve faisait des éclairs pâles au milieu des masses sombres qui nous entouraient.
On avançaient comme à tâtons mais on sentait la présence du lac tout proche.
Les crapauds chantaient pour nous.
Pour pas les déranger on chuchotait en se pressant la peau des bras l'un contre l'autre, on s'attrapait la taille pour pas tomber dans le noir et je sentais le tissu de ta chemise glisser dans ma main ; j'avais envie de rire et un peu d'angoisse quand même – il faisait vraiment noir, et elle est où la chienne maintenant ?

Toi tu sentais la nuit et je respirais ta peau.
Tu m'as assise sur l'herbe ma robe a imprimé la moiteur de la terre.
Nos mains rapides cherchaient à percer les secrets de nos vêtements et nos haleines se mélangeaient. C'était un beau fouillis de corps. Tes doigts faisaient leur chemin jusqu'au pli de ma culotte-coton et le chaud de ta paume contre l'humide de mes creux ça faisait cambrer nos reins fort l'un contre l'autre.
On a roulé dans l'herbe. Ça pesait sur la terre, nos viandes frémissantes et notre souffle coupé. Les batraciens faisaient silence dans les roseaux bruns Il y avait ta langue et tes mains et tes yeux qui devenaient intrépides et brûlants, tu me repoussais sur la terre et je sentais les petits grains de cailloux-sable dans mon dos, même nos os se mêlaient peu à peu et très doucement tu retirais toutes les herbes dans mes cheveux en caressant le dedans mon corps. L'humide de l'eau toute proche et la pointe de tes doigts sur l'arrondi de mes seins ça rendait dur et frissonnant leur rose retroussé.
Le lac et ses poissons étaient calmes, eux, et la terre devenait souple et ondulante dessous nous.
Plus tard tu retrouvas ma robe un peu verdie. Les crapauds avaient repris leur chant.
Il n'y avait toujours aucune étoile quand nous retournâmes à la voiture. A la lumière des phares, je vis qu'il restait de l'herbe dans nos cheveux.
En démarrant tu me parlais l'air ailleurs de toute une série de tables basses faites avec le code de la route. Je souriais de l'intérieur.