mardi 17 décembre 2013

Septembre


Un texte pour le numéro 13 de Cohues


 Ana Kras


Septembre,
ça a d'la gueule nos allures dépenaillées
à la terrasse du troquet
nos douze bières bien à l'aise
et nos mains noires
- noir de la vigne
noir de l'ivresse.

On sort tout droit des champs
avec sur nos visages des traces
de sucre et de soleil
du jus des raisins que nos bouches
ont croqué à pleines ventrées.
On était comme un Van Gogh, tu vois
barbouillés, paysans, rudes et magnifiques, je te le dis.
Septembre, les papillons estivaux
se meurent et tombent
comme des feuilles dans le vent
et nous ne rentrons pas au bercail.
On veut en découdre encore
avec la terre
avec le vieux temps, les vieilles gens,
on a de l'élan pour ça,
on a de l'élan.
(Et les sangliers sont lâchés).

Ils viennent nous voir, les vieux
ils bombent le torse comme des coqs moustachus
ils grondent la voix et fronce le sourcil
et lèvent le poing
poing de leurs mains épaisses et rugueuses
faîtes pour flatter les chiens
faîtes pour débusquer les champignons
et tordre le cou des grives et poser des pièges
et abattre un animal avec un fusil.
Là.
Le vieux temps,
beau et misérable et mystérieux,
qui sent la terre et la soupe et le sang.
Ils viennent voir
la peau des vendangeuses dans le soleil
et les grappes charnues de la vigne
et les cuves où travaille le raisin.

Septembre, on mange
la nuit qui s'avance
et l'ombre des oliviers près des flammes
prêtes à lécher le ciel fiévreusement.
Les papillons de jour sont morts
ne restent, dans les recoins
que ces bêtes ailées
sombres et mystérieuses
voletant contre le cabanon
haute silhouette découpée dans la nuit.
Là, entre les pierres centenaires
à plusieurs dans les lits
on se prête les verres
et les cigarettes
et les bouches pleines de baisers
quelques caresses fugaces
qui remontent vaguement
jusqu'aux ventres
une mélasse de corps et de peaux
et de cheveux entre mes doigts;
dans le creux du genou
un souffle nouveau,
inconnu et qui tremble,
à petits coups lampés
papillons noirs et lie
de mes nuits
de septembre.