Plus
d'une demi-année maintenant qu'un nouveau cœur s'est installé dans
mon corps, et que je porte en moi cette lumière invisible qui
remplit tous mes jours. Plus d'une demi-année que dans le
chuchotement de nos nuits s'écoule un compte à rebours de chaque
minute, de chaque seconde, avant que nous ne soyons vraiment trois.
C'était
l'été quand on a su, dans la chaleur bleue d'un dimanche, que tout
recommençait, nouvellement, différemment, encore plus fou et plus
fragile aussi. Depuis ce dimanche, j'ai constamment les mains posées
sur mon ventre, les paumes tout contre ce petit cœur aux battements
galopants; j'ai guetté les premiers sursauts, les premiers
mouvements, la première rencontre à travers le rideau opaque et
sensible de la peau, quand ce petit bout d'être s'est, pour la
première fois, plaqué contre mes mains toujours présentes autour
de lui.
Au
début tout n'était que silence et mystère, mais j'ai senti, en bas
à gauche, ce point niché dans mon ventre, cette sensation douce de
nouvelles promesses. Nous n'avons rien dit d'abord – c'est pudique
et prudent, un nouveau petit cœur.
C'est
superstitieux aussi, un peu. On a du mal à célébrer cette nouvelle
comme la première, on n'a pas, par exemple, ouvert de champagne, on
n'a pas dit, les yeux brillants et la bouche timide, que l'on
attendait un enfant et jusqu'à tout récemment, je ne voulais même
pas prendre de photos. On se rappelle, malgré soi, qu'on ne peut
toujours pas voir sans pleurer certaines autres images d'une autre
grossesse que l'on oublie pas, malgré ce nouveau bonheur.
Tout
est plus retenu, plus contenu, comme en sourdine. Pour protéger ce
petits pouls-là, et pour se protéger soi-même aussi. On marche
comme sur du feutre dans cette nouvelle espérance.
Et
je suis chaque jour surprise de l'étonnant contraste entre ce
silence ouaté et la force vive qui s'agite en moi. Cet enfant-là
semble vouloir me dire à quel point il est vivant.
Et sentir cette pulsation qui
n'est pas la mienne, si familière et si étrange, qui s'agite au
moindre contact, et même à la moindre de mes inquiétudes,
répondant à mes prières les plus secrètes pour que la vie reste
la vie – cette pulsation bat la mesure des mes journées comme un
tambour qui n'en finirait pas d'appeler le bonheur.
*
Si
les mots se retiennent, la symphonie qui court sous nos peaux bat son
plein quant à elle.