dimanche 26 mai 2013

#2 - Si sacrée sale







A Porto, des nuages étaient apparu au propre et au figuré.
D'abord ma copine s'entendait pas avec son copain-à-lui et ça avait créé des tensions. Faut dire qu'à la base on était censées partir en vacances elle et moi, pis qu'au final elle se retrouvait avec ce gars qu'elle aimait pas, et moi j'étais trop sous le choc de mon récent coup de foudre pour voir qu'elle allait pas fort. Je faisais que sautiller autour de mon nouvel amoureux et j'voyais plus les choses autour, jute lui.
J'étais une si sacrée sale indigne de notre amitié-fille et y'avait pu que mon soleil blond qui comptait, je voyais pas que j'la laissait sur l'bord, tout au bord extrême comme un strapontin pas confort.
Elle avait des larmes dans la gorge quand elle m'a dit qu'elle allait pas continuer le voyage avec nous qu'elle s'arrêtait quelques jours pour voir sa famille pis nous laisser seuls les deux, vu qu'elle comptait pas son copain-à-lui qu'était en fait un soûlard qu'avait fait ami-ami avec un type camé de Porto et qui nous avait planté là, bien fait pour nous qu'avons l'coeur bien sec pour pas voir nos amis qui souffrent tellement on a le coup d'foudre à rien que deux.

Bon.
Le copain-soûlard il avait même perdu son sac dans la rue, on l'avait pas retrouvé nous non plus, on l'a pourtant cherché mais quoi, un sac perdu c'est quelqu'un d'autre qui le trouve et voilà.
Bref on était plus que nous deux, avec moi qu'avait le cœur en vrac à cause de ma négligence de fille pas crédible en amitié.
C'était une amie avec des mocassins le genre que dans le métro t'as envie de suivre parce qu'elle sourit en dedans alors que tout est tellement moche et bruyant autour. J'avais écrit une fois un poème sur elle je me rappelle plus tout, ça disait juste qu'elle était faite de terre et de rubans brillants. C'était un jour où elle faisait du roller dans les rues elle était toujours en équilibre, je voyais juste ses cheveux qu'étaient immenses et qui roulaient autour d'elle à cause du vent. Je croyais toujours qu'elle tomberait, elle tombait pas, elle avait des bracelets brillants sur le poignet qui glissaient et remontaient le long du bras et des yeux limonade qui pétillaient, pas vert, marrons. Elle avait un air toujours prête à tomber même sans les rollers avec les mocassins t'façons, elle tombait jamais en vrai. Elle avait d'la vraie force au fond d'elle, de celle qui fait que t'aimes les gens et que tu les admires aussi.
Et je l'avais laissée là au bord d'une histoire d'a. et maintenant elle voulait plus me r'garder en face, sauf pour dire des choses graves qui faisaient serrer sa gorge et la mienne.

Sur ça il a plut très fort.
On n'avait toujours pas de tente vu qu'à la base c'était la sienne à elle et qu'elle en avait besoin, on lui avait rendu, c'était quand même la moindre des choses. Mon blond il rageait parce que sa guitare trouée (qu'avait une corde neuve quand même) elle avait pas sa housse imperméable et qu'alors elle serait trempée et le bois ça lui plaît pas la tremperie, et on ruisselait des cheveux et des cils et des poils des bras et des lacets pour ceux qui en ont.
On marchait dans Porto avec la pluie sur nous et la nuit qui tombait et pas d'maison ni d'amis.
On voyait, en avançant dans la rue, des gens qui mangeait dans les restaurants, je les regardais avec l'eau qui coulait de mes cils, plic ploc, ils ouvraient des grandes bouches pour mettre la fourchette dedans, pis refermaient et parlaient tout à la fois avec des regards pour le gars face à eux, ils s'occupaient ni de la pluie ni des gens qui se croient malins à voyager sans tente dans des pays inconnus dont ils parlent même pas la langue, et qui perdent leurs amis.

Finalement mon blond qu'était quand même bien débrouillé. Il avait a trouvé une maison abandonnée sur le bord du Douro (c'est un fleuve qui traverse Porto). C'était une maison avec un côté effondré et l'autre qui tenait, et au milieu il y avait un figuier géant qui poussait: ça sentait le sucre et la sueur et la pluie. On s'est mis tout nu pour faire sécher les habits et on a fait comme on pouvait un lit avec des couvertures qu'on avait. Dans mon sac y'avait deux tomates charnues et difformes qu'on a coupé en tranches comme des steacks même sans sel ça faisait un dîner pas mal après la douche. La douche de pluie et des sentiments.

Quand on s'est réveillé y'avait en fait une forêt derrière la maison et des hommes avec des casques et des combis qui nous ont dit qu'on pouvait pas rester là, il a bien fallu partir. Heureusement les habits étaient secs au soleil, on s'était serré dans les bras toute la nuit j'avais moins envie de pleurer amère.
Quand j'y repense j'avais pas été une amie très fidèle c'est vrai, mais pendant longtemps après ça je m'en voulais encore et j'avais encore envie d'pleurer juste en pensant à elle, vu qu'on s'est jamais remises proches-proches, et même encore maintenant.
(Un jour on est quand même retourné au Portugal juste elle et moi.)

Avec mon amoureux de voyage on a quitté la maison où on pensait pas rester toute façon, on voulait voyager dans le pays, pas toujours rester en ville.
Je me souviens pas de tout dans l'ordre, ça fait ça souvent, le souvenir, on a des images fortes et les liens entre les images sont floues mais bref on a rencontré des gens pis vu des paysages et on est quand même remonté vers le nord qu'est le plus beau du pays à mon sens et où j'ai retrouvé ma copine comme on avait prévu juste quelques jours de séparation -mais c'était plus pareil.

C'était beau quand même, Tras os Montes si tu peux voir ça dans ta vie c'est pas l'époustoufle comme un grand canyon c'est juste beau des montagnes et forêts vieilles et secrètes, pas fanées, vertes, un vert fort. C'est des forêts mocassins et terre et rubans.
Là-bas y a des petits vieux qui se tiennent tout le jour assis sur un banc de pierre devant leur maison la route passe à leurs pieds, ils bougent pas, ils nous regardent avec des yeux comme une pierre qui palpite, ils ont des fois des barquettes de figues qu'ils vendent cher pour les touristes, mais dans les villages isolés ils ont rien que leurs grosses chaussures pis des fois un bâton. On sait pas pourquoi, pour marcher ?
Le père de ma copine (qui savait pas que j'étais une pas digne) il nous a montré un truc à Tras os Montes, un truc des locaux qu'on montre aux gens qui viennent en visite quelques jours.
C'est simple, tu montes avec ta voiture, tu montes à plein pour être bien lourds dans la voiture comme ça c'est encore moins triché. Tu montes tu montes. Arrivé en haut, bah, tu redescends sur l'autre côté de la montagne. Il faut aller doucement à partir d'un certain endroit, tout le monde retient son souffle on sait pas ce qui va se passer et ceux qui savent retiennent aussi, ça doit être impressionnant. Tu sens que tu descends, la voiture elle roule, mais doucement.
Et puis, tout doux, elle s'arrête presque, mais la pente elle est toujours bien raide, on croit que le conducteur freine, il freine pas, il laisse aller. On trouve bizarre il dit Attends tu vas voir.
Et pis la voiture vraiment doucement mais quand même, elle monte en marche arrière. En marche arrière oui.
On savait pas conduire nous autres à l'arrière, mais on voyait bien que son père était au point mort, que la côte était raide, et que la voiture remontait, genre toute seule – GENRE!
C'est du magnétisme ils disent tous. Des savants experts font des savantes expertises pour tenter de comprendre, y comprennent pas, ya rien à comprendre, juste les voitures remontent au point mort.
Ça fait drôle dans le ventre. C'est un peu drôle aussi vu que tout le monde connaît ce truc: il y a une mini file indienne de voitures qui montent pis qui descendent doucement au point mort et on se regarde d'une voiture à l'autre, avec des yeux ronds magnétiques.

Je l'aime cette histoire de Tras os Montes parce que ça confirme l'idée que j'ai qu'cette montagne elle a quelque chose de sacré. Elle a l'air d'avoir un secret silencieux dedans, que les gens les herbes et les bêtes connaissent mais pour lequel y aurait encore zéro mot. Un mystère sans langage pour le dire. Et j'aime ça fort.